J'ai vu ce film à sa sortie, j'avais 25 ans. De ces années là, plusieurs films sont restés en mémoire. Indiana Jones, Retour vers le futur, Batman, Abyss, Le cercle des poètes disparus, Outrages... Des films forts, et Jarmush apporte alors un film contemplatif, contemplatif d'une Amérique qui n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle sort des années Reagan pour entrer dans celles de Bush père. L'introspection n'était pas à l'ordre du jour (personne n'a vu venir la chute du Mur), et un film au tempo lent, qui regarde en arrière les heures de gloire perdues, n'est pas vraiment attendu. C'est sûrement cela qui a donné à Mystery Train un parfum particulier. Avec un casting propre à l'univers de Jarmush : Joe Strummer, Rufus Thomas (dans la gare), et surtout Screamin' Jay Hawkins et son rire comme issu d'une caverne généreuse et accueillante ; et une bande son nostalgique comprenant Elvis, Junior Parker, Roy Orbison, Otis Redding ; bref, c'est alléchant. Trois parcours dans le même vieux quartier de Memphis (Tennessee) laissé à l'abandon : un couple de jeune rockers japonais venu sentir les relents de gloire surannés, une veuve italienne en transit, et trois zonards sur fond de Lost in Space. On peut y voir une parabole : une époque passée que seule des étrangers fantasment et incarnent ; un avis de décès ; et le sentiment panique d'un danger imminent. Jarmush signe ici un manifeste politique, posant également le débat autour du racisme, débat dont l'Amérique n'est toujours pas sorti. Et puis il y a deux veilleurs ; un de l'ancienne génération qui ne panique pour rien et s'accommode de tout en veillant d'abord sur lui-même, et un jeune qui ne trouve ni sa place, ni son identité. Sur le papier, tout cela sonne bien, mais le temps a fait son œuvre, comme dans le film, et il ne reste aujourd'hui qu'une narration un peu poussive. Comme pour nos vieux classiques du XIXème siècle, ce n'est pas qu'ils ne sont plus d'actualité, mais leur narration ne correspond plus à l'air du temps. J'ai montré ce film a ma compagne, content d'en vanter une vision qui me restait en tête, celle d'un réalisateur qui sait saisir l'air du temps, un peu comme Boulie Lanners aujourd'hui ; mais je dois avouer qu'en fait, on s'est un peu fait ch... Reste une ligne mélodique têtue et toujours aussi belle que l'on doit, je crois, à John Lurie (qui sera acteur pour Jarmush dans d'autres films).