Naissance d’une nation fait partie de ces films dont les notes n’ont pas grand lien avec les qualités intrinsèques de l’œuvre. Ici vous retrouverez des notes à la mords-moi-le-nœud de certains membres, attribués de la même manière au Coran, à La Bible ou à Pocahontas. Parce que Griffith, à l’éducation raciste et dominé par une idéologie infecte, va tenter de faire aimer ses personnages sudistes comme un Scorsese fait aimer ses truands ou Disney fait aimer ses colons.
PARTIE 1 : ROUGE SANG
Il est important de regarder ce film avec un certain recul et de le contextualiser afin de se rendre compte de la révolution cinématographique qui se présente à nous. En effet, avec son budget final de 110 000$, Griffith fait passer Méliès pour Norman fait des vidéos. Et voir ce film en 1915 devait faire la sensation d’un Space Mountain.
Le réalisateur expérimente avec minutie, se montre perfectionniste, et ridiculise ses compères. Scènes de masses magistrales, plans harmonieux, filtres colorés, montage ultra-dynamique et la proscription du surjeu en font une œuvre ultra-moderne. C’est la naissance du blockbuster, avec sa propre partition musicale, la naissance d’un tournant.
Et si les 3h se font ressentir, ce n’est pas par l’ennui, c’est pour tout ce que l’œuvre apporte. Outre les idées de mise en scène, Griffith multiplie les panneaux du genre «les sudistes mènent une charge» pour une compréhension optimale. De plus il ancre dans le réalisme avec reconstitutions historiques. Par exemple celle à partir de la photo de la chambre des représentants, vide, du Colombia State se voit adroitement remplie par ses acteurs grâce à un bluffant fondu.
Techniquement parfait et bourré de scènes fortes, avec sa première partie, Griffith maîtrise la tension avec l’assassinat de Lincoln, insuffle de la douceur avec ses kawaii-cuts sur animaux et est noble dans son message. Notamment avec cette scène héroïque où sudistes et nordistes font trêve pour sauver un Homme agonisant au milieu du champ de bataille. Profond dans son message, Griffith est contre la guerre et milite pour la vie de l’Homme. Car l’Homme est bon.
Enfin tant qu’il est blanc.
« J'ai acheté un livre de Thomas Dixon intitulé The Clansman, dont j'ai l'intention de m'inspirer pour dire la vérité sur la Guerre de Sécession. Les livres d'Histoire n'ont nullement révélé les faits tels qu'ils se sont déroulés en réalité. L'Histoire n'exprime jamais que le point de vue des vainqueurs. »
D. W. Griffith
PARTIE 2 : BLANC PUR
Si le film fait polémique, c’est pour cette seconde partie : la naissance d’une nation d’après-guerre. À mes yeux la plus intéressante. Car si l’idéologie est à vomir, la manière de la véhiculer est du grand art. Ci-dessous le premier panneau.
"Dans les villages, les Noirs tenaient les bureaux, eux qui ne connaissaient de l'autorité, que l'insolence qu'elle autorisait. La politique du congrès entraîna une régression de la civilisation au Sud tant ses dirigeants étaient déterminés à placer le Sud blanc sous la botte du Sud noir. Les hommes blancs étaient mus par l'instinct de conservation, jusqu'à ce qu'enfin soit fondé le Ku Klux Klan, véritable empire du sud, voué à protéger les campagnes sudistes." Histoire du Peuple Américain
«Jusqu’à ce qu’enfin soit fondé le Ku Klux Klan». «Enfin».
Les noirs manigancent derrière les portes, crachent par terre, ne respectent pas la langue, sont manipulateurs, sont violents, sont alcooliques, sont irrespectueux au point de mettre leurs pieds nus et sales sur la table. Et il est intolérable que La Chambre soit représentée par 101 noirs contre 23 blancs impuissants. La naissance d’une telle nation est non-désirée pour Griffith.
La propagande est grotesque, est haineuse, mais reste un tour de force accompagné d’un fond pertinent. Preuve en est la scène de procès rapportée par le colonel. Procès qui fut un fiasco à cause d’un jury homogène, composé uniquement de noirs. Cela pointe du doigt un problème de partialité, encore actuel, celui du méprisant communautarisme. Et cela fonctionne avec tout groupe, de toute couleur, de toute religion, de toute bêtise faisant passer justice et vérité en second plan.
Les sudistes sont gentils, leurs anciens esclaves blackfacés restent fidèles car bien traités et les nouveaux noirs sont des envahisseurs non-éduqués et destructeurs. Et cela est adroitement mis en scène. Dans la première partie noirs et blancs occupaient des espaces bien délimités : le noir occupait les champs de coton et le quartier des esclaves. Dorénavant l’ordre raciale s’effondre, avec lui l’ordre spatiale. Les noirs transgressent les frontières, lors de la scène de tentative de viol, et occupent l’espace blanc avec un sourire maléfiquement blanc. Et cela jusqu’à la chambre des représentants où on retrouve l’usurpation d’un groupe sociale par un autre. Dès lors les plans sont désormais marqués par le chaos, la foule est bordélique, appuyant le fait que les noirs sont désorganisés et par conséquents inaptes à des positions de pouvoir.
Le KKK ne pouvait alors apparaître qu'en justicier.
Si aujourd’hui ça paraît comique, à l’époque c’était applaudit. Car la mise en scène de cette seconde partie, c’est l’art d’emmener le public avec soi. L’art de la mise en scène, en centrant sur un petit groupe pour lequel on a un affect «particulier». L’art de véhiculer dans le plus grand des calmes des immondices comme étant des vérités. Passionnant à condition de distanciation.
Un grand pas pour le cinéma, un immense pas en arrière contre la ségrégation.
Aimez-vous les uns sur les autres.