Dans "Naissance des pieuvres", trois jeunes filles s’attirent et se fuient, s’inventent et se consument, enfermées dans une chorégraphie dont elles ne maîtrisent ni les règles ni l’issue. Sciamma capte ce mouvement avec une précision mélancolique, filmant l’éveil du désir comme une ligne de fuite, un vertige qui n’aboutit jamais à une révélation définitive.
La piscine est l’élément matriciel du film, à la fois cocon et vitrine, refuge et piège. Elle enferme autant qu’elle libère, impose un cadre rigide aux corps qui s’y meuvent.
L’adolescence, chez Sciamma, n’est pas un âge des certitudes mais un champ d’expérimentations où l’on se confronte aux images que l’on projette et que l’on renvoie. Floriane performe la séduction sans savoir encore ce qu’elle cherche. Marie, elle, oscille entre le désir et la crainte de s’abandonner. Anne, troisième figure de ce triangle fragile, incarne une autre solitude, plus franche, plus brute, celle d’un corps qui ne répond pas aux attentes du monde et se cogne aux refus.
Plutôt que d’expliciter les émotions, Sciamma filme les attentes, les moments suspendus, ces instants où un frisson traverse la peau sans que l’on sache encore s’il est doux ou douloureux. Le regard est au cœur du film, ce regard que Marie porte sur Floriane, insistant, avide, mais aussi celui que Floriane esquive ou soutient, jouant de sa propre image.
Il n’y aura pas de résolution, pas de révélation. L’adolescence n’est pas un récit achevé, mais une suite d’élans avortés, de tentatives maladroites. Marie ne connaîtra ni l’amour ni le rejet, seulement une expérience fugace qui la laisse face à elle-même.