Cela fait des années depuis que je me passionne pour l'Histoire napoléonienne depuis ma L2 d'Histoire où j'ai eu le privilège d'avoir Thierry Lentz chargé de cours en Histoire du Consulat et de l'Empire. Très spontanément je me suis intéressé aux adaptations de l'Histoire du plus grand personnage de tous les temps à l'écran. On dit par ailleurs que c'est la personnalité historique à laquelle on a dédiés le plus de films, téléfilms, séries et documentaires. Je ne parle même pas du milieu littéraire où il se raconte que chaque jour dans le monde 2 livres paraissent sur lui. La vérité est que assez logiquement le 7e art dans ses début s'est emparé de Napoléon (Napoléon et la sentinelle en 1897 de Georges Hatot). Pour en revenir à mes cours de Licence le spécialiste du sujet Lentz a évoqué le film de Gance en évoquant le départ définitif en bateau de Bonaparte de sa corse dans une séquence dit-on incroyable. Lors de l'émission incontournable du bicentenaire de la mort de l'empereur (Napoléon l'influenceur, 2021), un passage évoque le film de Gance et j'entrevoie un extrait légendaire scène de bataille de boule de neige entrecoupé par les séquences montrant le travail titanesque de la Cinémathèque française alors en pleine restauration du métrage. Cette dernière débutée en 2008 est supervisée par Georges Mourier, réalisateur et chercheur, restaurateur du film. C'est une des restauration les plus complexes de l'Histoire du cinéma car cette version a l'ambition d'être celle la plus proche du montage originel (après 22 remontages déjà recensés, record de Blade Runner dans ce domaine battu haut la main).

Enfin, cette année j'apprends fou de joie qu'après 16 années de restauration, environ 4,5 millions d'euros d'investissements et le soutient de nombreux mécènes (exemples : Netflix, Michel Merkt, la Fondation Gorden Globe, la Fondation Napoléon, ...) ce monument filmique est présenté en ouverture du Festival de Cannes. J'étais impatient d'aller le découvrir en salle. Dieu merci quelques salles en Pays-de-la-Loire le diffuse encore un mois après sa sortie officielle (14 juillet). C'est hier que j'ai découvert le 15 août jour au combien symbolique (naissance de Napoléon le 15 août 1769 à Ajaccio) le film d'Abel Gance projeté en deux parties.

C'est tout simplement le plus beau film que j'ai vu en salle de ma vie. C'est un film muet qui nous renvoie à l'essence même de ce qu'est le cinéma. Il s'agit de raconter une Histoire avec une succession d'images. Aujourd’hui lorsque cela se produit lors d'un métrage on crie à tors au génie alors que c'est tout simplement le langage de base du 7e art. Gance a résolument su jouer des différentes techniques à dispositions pour faire dialoguer son métrage : la musique et les images.

À l'exception de quelques chants de Marseillaise le film est muet. Mais est porté par une bande son de musique préexistante qu'il convient d'évoquer. L'Orchestre national de France, l’Orchestre philharmonique, le Chœur et la Maîtrise de Radio France sous la direction du maestro allemand Frank Strobel ont entrepris un session d'enregistrement pharaonique pour mettre en musique le long métrage. Quelques chiffres : 3 ans de travail, 250 musiciens, 16 kilos de partitions, 3000 pages de partitions, 25 jours d’enregistrement et plus de 100 heures de montage. Les 104 morceaux choisis par le compositeur Simon Cloquet-Lafollye chargé de repenser l'illustration musicale sont puisés dans trois siècles de répertoire : Philippe Gaubert, Gabriel Dupont, Albéric Magnard, Fernand de La Tombelle, Hans Rott, Arnold Bax, Frank Bridge, Jean Sibelius, Mozart, Liszt, Haydn, Beethoven, Schubert, Wagner, Webern, Penderecki, Rossini, Grieg ... (en tout pas moins de 48 compositeurs). Il s'agit donc de la BO la plus longue de l’histoire du cinéma.

Il faut évidemment parler du casting incroyable. Les acteurs ont vraiment des "gueules" et silhouettes qui se rapproche de celles des personnages historiques qu'ils jouent, même ceux qui ne reste pas longtemps à l'écran (Louis XVI et Marie-Antoinette). Ici je pense surtout à Edmond van Daële en Robespierre au visage exactement creusé de la même manière. Il est bien entouré de sa clique de leaders qui jouent très bien leurs rôles : Danton, Marat et Saint-Just (interprété par Gance lui-même). Albert Dieudonné est littéralement Napoléon (il a vécu le reste de sa vie en restant dans son rôle au point d'être enterré dans son costume). Il a la silhouette ultime jamais égalé dans le 7e art. De même sa gestuel, sa posture, son regard et sa façon d'être collent extrêmement à la vue des sources que l'on a sur le personnage. Mentions spéciale à Vladimir Roudenko interprétant un Napoléon jeune incroyable par sa ressemblance physique avec son homologue adulte. Toute la distribution est excellente. Plus d'un millier de figurant vient l'étoffer. Là où ne pourra jamais les juger c'est la voix. En effet Gance a le mérite de proposer un film muet alors que la même année sortait le métrage qui allait révolutionné l'industrie, Le Chanteur de Jazz (1927). C'est avec d'autres innovations que la réalisateur surprend le monde entier dans son métrage. Je me propose de vous en révéler quelques-unes illustrées par des exemples de scènes du film (ça va divulgâcher et vous enlever un peu l'effet de surprise, je vous mets en garde).

Parmi ces dernières on trouve des caméras montées sur des chevaux (exemple : dans une séquence de course poursuite à cheval en Corse vraiment intense), des superpositions optiques (exemple : parallèle entre Napoléon en l'aigle symbole récurent dans l’œuvre) d'immenses balanciers (dans la salle de la Convention agité comme un océan en tempête) et surtout le triptyque final (breveté, et ce, 25 ans avant les autres tentatives de format large Cinérama, CinemaScope). Ce dernier propose des panoramas de paysage magnifique lors du Départ de l'armée d'Italie. Si ces effets sont imparfaits par instants leur rendu global est tout simplement admirable.

Il y a beaucoup de grands moments de la vie (que je ne vais pas évoquer car la listes de Napoléon dans ce film qui couvre l’enfance à Brienne jusqu'au tout début de la Campagne d'Italie. La première partie (3h40) s'achève sur le Siège de Toulon en grand point d'orgue tandis que la seconde (3h25) commence avec la Terreur. Il ne faut pas oublier que cette œuvre est un pas vraiment un biopic mais plutôt un poème lyrique de son auteur en hommage à ce personnage qui allait changer la face du Monde.

J'ajoute que ce film est par ailleurs accessible aux non initiés sur Napoléon car il comprend de nombreux panneaux explicatifs typiques des films muets. Les citations véridiques (dîtes Historiques sur ces encadrés) donnent une dimension réaliste au métrage qui saura ravir les plus patriotes des spectateurs.

Enfin, c'est frustrant de savoir que Gance prévoyait une fresque à la mesure de l'épopée entre 6 à 8 épisodes pour qu'il n'en existe finalement que 2 (Austerlitz, 1960 d'Abel Gance avec Pierre Mondy en Napoléon). Il paraîtrait que certains de ses nombreux scénarios écrits aient été recyclés (Sergeï Bondartchouck pour son Waterloo 1970 ou le projet de Kubrick repris récemment par Spielberg pour l'adapater en série pour la BBC). Des éléments du film de Gance prouvent l’anticipation des projets de suite (exemples : Mention de Saint Hélène dans le Prologue à Brienne, présence de Neslon, futur adversaire de Bonaparte en campagne d’Égypte, sur le vaisseau anglais observant notre personnage principal quittant la Corse). Il s'agit donc d'un projet pharaonique hélas inachevé mais dont un peu apprécier ce premier épisode qui est peut-être encore à ce jour l'un des plus grands, si ce n'est le plus grand film de tous le temps pour tous les arguments évoqués dans cette critique.

Empereur-des-tortues
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le 16 août 2024

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