Après avoir réalisé plusieurs courts métrages, Clément Cogitore nous propose un premier film qui manie à la perfection l'art de la suggestion. Peut-être un peu trop d'ailleurs et l'on pourra ressortir de ce film en éprouvant une impression de flou, la clé du film ne nous étant à aucun moment donnée. Jérémie Renier tient ici le rôle d'un capitaine d'armée mais il est peu crédible, son jeu manque singulièrement de naturel. Le film comporte des longueurs mais la poésie qui se dégage de l'ensemble nous fera accepter de suivre les militaires dans leurs pérégrinations. Français et talibans sont victimes de disparitions inexpliquées au sein de leurs camps et la volonté de résoudre cette énigme entraîne les militaires français aux frontières de la mort et de la folie, en même temps qu'elle permet au film de basculer dans le registre fantastique. L'impossibilité à trouver une réponse remet en question leurs croyances et leurs certitudes. A travers le prisme des lunettes infrarouges, les militaires comprennent qu'ils sont victimes d'illusions. Le capitaine, lui aussi prisonnier dans cette caverne de Platon, tente de se libérer de ses chaînes, pour aller lui-même sur la montagne voir la vérité en face. Mais cette ascension achèvera d'ébranler totalement ses convictions et se terminera par une chute symbolique dans les cailloux. Le rôle du soldat interprétant le farsi intervient pour mettre en exergue la problématique de la performativité du langage car il permet, le temps de la traduction, de retarder la réaction de l'interlocuteur. Les insultes, après traduction, perdent de leur poids et, ainsi rapportées, ne permettent pas qu'on y réponde de manière violente. Très documenté sur le conflit afghan, Cogitore propose un film de guerre empreint de poésie, de mysticisme et de polyphonie. Les croyances des uns et des autres basculent, tout devient relatif, la guerre et ses morts, l'amour en temps de guerre. La femme d'un soldat sent elle aussi que les mots que lui écrit son mari ne sont plus les siens, elle n'est pas vraiment dupe du mensonge que lui joue le capitaine. Certaines scènes et certaines voix off ne servent donc que la poésie d'ensemble à défaut de livrer un sens à même de satisfaire les spectateurs les plus cartésiens.