Avec Night Call, J.Gyllenhaal abat sa carte la plus forte. Il interprète le personnage le plus méprisable de sa filmographie, un profil qui ne lui avait jamais été donné d’aborder jusque-là et qu’il campe jusqu’au bout sans faille. Presque méconnaissable, il arrive à balayer tous ses attraits en brossant un portrait humain glaçant. Méconnaissable physiquement, il dégage un souffle malsain dès les premières minutes. Sa façon de s’exprimer, son air maladif et la déchéance dans laquelle évolue Lou Bloom donnent le ton. Ce ne pourrait être qu’un priori vis-à-vis du personnage, mais qui se confirme peu à peu. Voleur à la petite semaine, Lou se débat pour boucler ses fins de mois, ce qui en soit pourrait attirer la sympathie malgré son œil torve et globuleux. Mais lorsqu’il découvre un moyen beaucoup plus lucratif de payer ses impôts, toute sa laideur vous explose à la figure. Il le dira d’ailleurs lui-même plus tard, il n’aime pas les gens, aspect qui se ressent très vite au-travers d’un mépris mal contenu envers ses semblables. Congénères dont il n’hésite pas à menacer l’intégrité, contrepartie de son ascension sociale gangrenée par cette soif de reconnaissance qui confine au morbide. Les personnes qui le côtoient sont ainsi contaminées, certaines se laissant étouffer par son arrivisme (René Russo), d’autres se brûlant les mains en jonglant avec (Riz Ahmed), les derniers pensant le contrôler et le surpasser à tort (Bill Paxton). Ces seconds rôles sont d’ailleurs très intéressants, notamment Bill Paxton, reflet du futur Lou Bloom qui suivra ses pas tout en croyant tracer sa propre route. Lou investira pourtant bien lui aussi dans deux vans à la fin du film et si la pellicule devait se poursuivre, je parie qu’on le verrait foncer droit dans un arbre, écrasé par un plus jeune et plus ambitieux que lui. René Russo, qui tangue entre deux eaux pour finalement succomber, montre à quel point nos médias sont dégénérés et manipulateurs. Non seulement les faits d’hiver choquants ont la part belle dans les JT (plus que des sujets importants telle que la politique), mais ils sont détournés, contrefaits, tronqués. Ceux que ça dérangent sont évincés comme le collaborateur de Nina ou celui de Lou. N’oublions pas non plus ceux qui ferment les yeux face à l’indécence des images (les présentateurs des JT eux-mêmes). Dans ce merdier, la police est la seule à se préoccuper de la vérité, à en payer le prix fort et à nous livrer une morale amère : la vérité n’intéresse personne. Scène finale. Cut.
Pour ce qui est de la mise en scène, la réalisation et scénar de Dan Gilroy sont aux petits oignons. L’ambiance étouffante des nuits californiennes m’a captivée. Les sirènes omniprésentes, les lumières… On ressent l’imminence de la catastrophe finale à chaque coin de rue. On ressent un malaise à chaque accélération de voiture, les personnages se précipitant vers un lieu où vont se dérouler des faits toujours plus glauques. Mais sachez que l’action n’est pas le sujet du film. La dernière course poursuite est le moment le plus haletant mais il n’est basé ni sur la vitesse ni sur de la baston. Gilroy veut nous faire réfléchir et il nous tient par une tension palpable et un cynisme de tous les instants. Son film est porté par un excellent montage, une très bonne bande son et d’excellents acteurs. Je ne pensais pas voir Gyllenhaal dans un rôle aussi dégueulasse ; impossible de regarder après ça "Prince of Persia" ou "Le Jour d’Après" car il excelle dans les rôles complexes. D’Anthony Saint Clair à Lou Bloom, sa palette s’est élargie et ce dernier rôle est définitivement le meilleur de sa carrière.