Qu'est-ce qui nous décide à attribuer une note de 10/10 à un film ?
Est-ce lié au fait qu'on ait considéré l’œuvre en question comme étant parfaitement exécutée ?
Est-ce lié au fait que cette œuvre nous ait ému au plus haut point ?
Ou bien est-ce lié à une considération presque historique ; notamment par rapport au fait que l’œuvre en question soit un tournant pour son époque ; une incarnation sublimée de son temps ?


Cette question de la note suprême je me la suis bien évidemment déjà posée par le passé. Mais si celle-ci s'est à nouveau imposée à moi ces derniers temps c'est parce que – comme vous pouvez vous l'imaginer – le visionnage de ce Night Is Short m'a fait de l'effet...
...Beaucoup d'effet.


Ne connaissant préalablement pas l'univers de l'auteur – notamment son Tatami Galaxy – j'avoue que l'impact de ce Night Is Short n'en fut que d'autant plus fort, ne serait-ce qu'en termes de forme.


Abordons ne serait-ce que le dessin histoire de commencer par quelque-chose.
Bien loin des standards auxquels la distribution récente des longs-métrages de japanimation a pu nous habituer, ce Night Is Short impose tout de suite son style tout en traits saillants et presque difformes ; en couleurs vives parfois juxtaposées de manière tranchante et franche ; et surtout à travers cette animation toute en distorsion et en exagération.
Rien que sur ce seul point Night Is Short impacte. Il impacte parce qu'il a une identité forte, intrigante, et surtout remarquablement cohérente avec le cheminement auquel ce film invite.


Parce que, justement, à quoi nous invite ce Night Is Short ?
À rien de plus ni rien de moins qu'une longue soirée de biture.
Mais pas n'importe quelle soirée de biture. La soirée d'une jeune-femme toute fraîche et innocente aspirant à profiter au mieux de sa première opportunité de jouir d'un vrai moment de liberté et de débauche...
...Une soirée qui sera aussi celle d'un jeune-homme timide et crispé qui se languit de cette belle étudiante et qui espère bien parvenir à la séduire.
...Une soirée durant laquelle viendront d'ailleurs se greffer toute une série de compagnons de biture, tous plus folkloriques les uns que les autres.


De ce postulat des plus triviaux, l'auteur Masaaki Yuasa construit dès lors tout un alter-monde digne d'une Alice aux pays des cervoises. Hallucinations et lieux de plus incongrus s'enchaînent dans un esprit qui se veut toujours bon-enfant. On sent qu'il s'agit de célébrer l'excès dans ce qu'il a de plus festif, de désihibant et d'émancipateur.


Mais là où ce Night Is Short fait ça avec une puissance peu commune, c'est qu'il le fait avec une richesse et un sens créatif assez hors du temps.
C'est bien simple, quand je cherche à remonter à mon dernier gros choc thermique dans le genre il faut que je remonte de plusieurs années : Psikonautas d'Alberto Vasquez et Pedro Rivero en 2015, le Congrès d'Ari Folman en 2013, Paprika de Satoshi Kon en 2006, le Voyage de Chihiro d'Hayao Miyazaki en 2001...
Dans trois des quatre cas que je viens de citer là se trouvent trois chefs d'oeuvres hors du temps, trois auteurs de renom...
...Et trois films auxquels j'ai d'ailleurs attribué 10/10.
Dès lors la messe semblait toute dite...


Pourquoi par le passé avais-je décidé d'attribuer 10/10 à tous ces films ?
Parce que c'était une évidence. Parce que c'était des univers sans comparatif aucun. Parce que je prenais tout et que je ne jettais rien. Parce que j'ai VÉCU un moment unique, singulier, fort et marquant en les voyant.


Cette nuit trop courte, ce soir où je l'ai vue, c'était MA nuit.
J'étais cette jeune-fille en désir d'exploration et qui avait cette intime conviction que tout allait bien se passer.
J'étais ce jeune-homme timide partant vers l'inconnu, effrayé autant qu'excité par cette plongée surréaliste.
J'étais l'ivresse, les couleurs, les instants confus et les pièces de théâtre. J'ai dansé la danse des sophistes. J'ai distribué des coups de poing de courtoisie. J'ai trouvé totalement sensé et touchant qu'un gars se faisant appeler Capitaine Caleçon ait décidé de ne pas changer de sous-vêtements tant qu'il n'aurait pas trouvé sa bien-aimée.


Cette nuit était délectable parce qu'elle était vraie dans tous ses artifices. Vraie dans l'euphorie. Vraie dans l'absurdité. Vraie dans l'inattendu.
C'était MA nuit.


Une nuit d'autant plus belle que je la savais unique.
Il n'y en aurait qu'une comme celle-là pour la bonne et simple raison qu'on ne découvre par principe qu'une fois ; parce qu'on ne se déniaise aussi qu'une seule fois.


Et c'est justement parce qu'on sait que cette nuit sera unique – parce que ce moment trouble de confusion entre vie d'enfant et vie d'adulte ne s'opere qu'une seule fois dans l'existence – qu'on se décide de profiter et de prendre tout ce qu'il y a à prendre – quitte à virer dans l'excès.


Passé un certain âge on a tous eu notre nuit.
Pas nécessairement de biture. Pas nécessairement de rencontre. Pas forcément une nuit d'ailleurs.
Juste une nuit d'exacerbation. Une nuit d'exploration de quelque-chose jusqu'à son bout.
Une nuit de joie.


Cette nuit d'ailleurs, avec le recul, elle n'est pas forcément celle à laquelle on aurait pensé sur l'instant.
Ce n'est parfois qu'avec le temps qu'en y repensant on se dit que cette nuit-là n'était pas comme les autres ; que cette nuit là a été charnière...
...Une nuit de pleine réalisation de soi.


Or ce Night Is Short est de ce genre de nuit.
Sans être exactement la nôtre elle sait être notre nuit malgré tout et cela justement parce qu'elle a su – avec son identité qui est la sienne – à rappeler le sens et la sensation de ce genre de nuit-là.
Dit autrement, c'est parce qu'il a su exacerber ses particularités jusqu'au sublime que ce film est parvenu à toucher du doigt une forme d'universalité ; une universalité si difficile à atteindre qu'elle relèverait presque de l'intime.


Alors oui, parce que cette nuit fut particulière, parce qu'elle fut unique, et parce qu'elle sera sans pareille, je ne peux que constater sa valeur...
...Sa préciosité.


Dès lors comment attribuer moins de 10/10 à un film qu'on juge si précieux ?
Face à ce The Night Is Short seul l'excès avait du sens.
Seule la déclaration d'amour avait sa légitimité.
Or c'est désormais chose faite.
C'est à présent chose actée
Alors merci pour cette fête.
Merci pour cet amour gravé.

Créée

le 12 févr. 2022

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