La réception dithyrambique qui avait été faite à son premier long métrage Get Out (2017), que j'avais moi aussi beaucoup aimé, et son ascension critiques aux sommets d'un cinéma d'horreur prétendument inédit et bousculant les codes, éveillaient en moi une saine méfiance vis à vis de Jordan PEELE et j'attendais de voir la suite avant de décréter à mon tour s'il était le génie qu'on nous disait. Déjà avec son deuxième film "Us" qui me paraissait plus faible, bien qu'intéressant et pleins de qualité, je trouvais qu'une fois de plus on s'était quelque peu emballé à propos d'un artiste.


Je découvrais donc cette troisième proposition avec une pointe d'appréhension mêlée à une réelle excitation. Allait il confirmer sa maestria ou juste un one shot exceptionnel mais unique ?


Explorant une fois de plus, mais avec la politesse rare de ne pas être dans la répétition lassante, le thème de la place des afro américains dans la société, ici plus spécifiquement dans l'industrie du divertissement, en l'occurrence le cinéma, Jordan PEELE nous invite à nous questionner sur la question de l'altérité, notre rapport à l'autre.


Un frère et une sœur, héritiers d'un ranch et descendants d'une lignée de dresseurs de chevaux pour Hollywood tentent de maintenir l'héritage familial mais doivent faire face à divers soucis, allant de la concurrence des effets spéciaux rendant caduques l'utilisation de leurs savoir faire, jusqu'aux questions économiques qui grèvent leurs projections futures.


Rapidement d'étranges phénomènes viennent mettre à mal la relative tranquillité de leur vallée de résidence et c'est là que la question de l'étrange et par extension de l'altérité se développe. Prenant la forme d'un nuage dont l'erratique comportement s'oppose à un naturel attendu pour un tel objet atmosphérique, un étrange sentiment de malaise, puis d'effroi larvé commence par s'installer, de façon insidieuse, par petites touches successives, l'air de rien dans un crescendo qui sans jamais tomber dans l'outrance parvient à nous fasciner et à accrocher notre attention.


Quand on comprend que ce que dissimule ce voile de vapeur appartient à un autre monde que notre chère et rassurante planète, le film dévoile alors sa principale thématique. Cette altérité ultime, venue d'un ailleurs insondable, de ce cosmos qu'on peine à imaginer sans vie, mais des formes de vies si exotiques, si difficiles à appréhender pour nos cerveaux formatés qu'on lui confère forcément une aura prédatrice, anthropophage, monstrueuse et par là même paradoxalement révélatrice de la part la plus sombre de notre humanité, qui considère l'inconnu, l'autre, le différent comme intrinsèquement nuisible, dangereux et d'un antagonisme avéré avant tout à combattre et à éradiquer.


Servi par une mise en scène millimétré et un scénario d'une solidité et d'une limpidité exemplaires, parsemant son œuvre de symboles plus ou moins évidents mais jamais pesants pour accentuer son propos, admirable en termes de photographies et bénéficiant d'un casting investi et talentueux, s'affranchissant pour mon plu grand plaisir des démonstrations de force et autres manques de subtilités qui alourdissent tant de projets horrifiques, ce troisième long métrage du prodige américain tend à répondre à la question posée en début de chronique par la première option, il semble qu'effectivement Jordan PEELE puisse être considéré comme un grand cinéaste, nous verrons lorsqu'il aura réalisé plus de films s'il touche au cercle très restreint des génies.

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le 12 nov. 2023

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