Après une honorable carrière d'acteur surtout marquée par son second rôle dans la série « Fargo », Jordan Peele est devenu depuis quelques années l'un des réalisateurs les plus en vue d'Hollywood, notamment chez les amateurs de genre. J'avais apprécié « Get Out », moins « Us » (peut-être à revoir), dont la prétendue dimension politique m'avait moyennement convaincu. Place donc à « Nope », reprenant à la fois les bases de son cinéma tout en le renouvelant dans les grandes lignes. Plus science-fiction que fantastique, cadre « western moderne » inédit : le mélange est ambitieux, original, Peele y greffant son habituel casting (en partie) noir, lui donnant une étrangeté supplémentaire.
Manifestement désireux de s'éloigner des standards habituels touchant l'immense majorité des grosses productions contemporaines, le réalisateur nous accroche par une scène d'introduction intrigante, avant de planter le décor et tout ce qui va avec : lieux, contexte, situation individuelle des personnages, lien « unissant » les uns et les autres... Cela peut paraître un peu long, mais aussi nécessaire pour créer un univers, nous permettre de nous intéresser aux protagonistes, ce qu'ils représentent, créant une forme d'attente, de « frustration contrôlée », tout en installant, tranquillement, les éléments qui vont donner au film son essence. Le cinéaste connaît ses classiques et sait instaurer une ambiance, une étrangeté à travers ce paysage désertique, semblant souvent figé dans le passé, rendant d'autant plus séduisante cette irruption science-fictionnelle.
Je reste un peu dubitatif sur certains choix de narration, notamment l'intégration du singe Gorki, même si l'on comprend sa pertinence sur la durée. On note également assez peu d'action sur une longue période avant de fortement se « rattraper » dans le dernier tiers, donnant l'impression d'un « il faut quand même donner un minimum au public ce qu'il est venu chercher », ce qui se justifie toutefois complètement par le scénario et la construction narrative. En revanche, difficile de nier le sens visuel de l'ami Jordan, que ce soit la photographie ou la volonté de suggérer, ne faisant apparaître l'antagoniste par petites touches, celui-ci gardant un certain mystère jusqu'à la fin (et encore plus dans ses origines ou motivations).
Surtout, celui-ci double son « divertissement » d'un discours aussi pertinent qu'intéressant (bien que légèrement flou parfois) sur notre rapport à l'image et l'obsession qui en découle souvent, offrant un constat lucide et plutôt inquiétant quant à notre volonté de
« faire le buzz » sans même songer à la notion de sécurité.
Quelques réflexions historiques également, sur la place des noirs au début du XXème siècle dans l'Ouest américain, sans que Peele donne (trop) l'impression de sortir son drapeau de militant toutes les dix minutes.
Quant au final, même si j'ai eu l'impression de quelques petits loupés au montage, celui-ci reste puissant, spectaculaire sans cherchant à en faire trop, ce qui le rend d'autant plus fort, voire impressionnant, sa durée lui donnant une réelle ampleur. Dommage que le dernier plan, apparaissant comme une grosse facilité, m'ait semblé assez contre-productif, même si, en y réfléchissant bien, il peut avoir différentes interprétations et établir des pistes de réflexion intéressantes.
Malgré tout, il s'agit d'une poignée de secondes sur 135 minutes se regardant souvent avec grand plaisir (bande-originale comprise) et, me concernant, une vraie révélation : Keke Palmer, dont je découvre l'existence ici après pourtant plusieurs années d'activité (en même temps, vu la qualité de sa filmographie jusqu'alors, ce n'est pas totalement illogique), crevant l'écran comme peu d'actrices ont su le faire ces dernières années. En définitive, un peu comme pour tous les films de Jordan Peele : même si j'en attendais encore plus, « Nope » reste un titre-phare de 2022 et je ne désespère pas de voir celui-ci signer LE vrai grand film que j'attends de sa part.
PS : si celui-ci est « compensé » par d'autres morceaux, l'excellent « Fingertips » de Stevie Wonder est uniquement présent dans la bande-annonce : frustrant !