Ferrara est un réalisateur unique qui connaitra ses plus grandes heures de gloire dans les années 90. « The King of New York » (1990), « Bad Lieutenant » (1992), « The Addiction » (1995) et enfin « Nos funérailles » (1996) viennent confirmer le natif du Bronx comme une des cinéastes les plus passionnant du cinéma underground new-yorkais. S’il présente de nombreuses similitudes avec un certain Martin Scorsese, notamment dans leur rapport à la religion et dans la dualité amour-haine qu’ils éprouvent pour leur ville de cœur, Ferrara expose un cinéma bien plus désespéré. Obsédé par l’introspection, il ne cherche pas à combler les attentes d’un public mais offre un cinéma intimiste n’obéissant pas aux règles dictées par les cinéastes majeurs de sa génération.
Ainsi lorsque Tarantino redéfinissait les codes du film de gangsters avec son « Pulp Fiction » et que Scorsese l’actualisait avec ses mythiques « Les affranchis » et « Casino » qui dessinaient un portrait grandiloquent du grand banditisme, Ferrara préféra en détourner les lettres de noblesses établies notamment par Coppola (la trilogie « Le Parrain »), pour livrer un tragique portrait familial à travers « Nos Funérailles » qui reste une de ses œuvres les plus bouleversantes.
S’articulant autour des funérailles solennelle du plus jeune frère de la famille, le long-métrage démystifie ainsi la figure forte de ses personnages en explorant la substance des maux qui les dévorent. Des valeurs morales et religieuses enchevêtrées au respect des codes ancestraux, les frères apparaissent, chacun à leur manière, égarés dans leur quête de justification et de rédemption. Acculés sous le poids d’un mythe trop lourd à supporter, ils subissent une longue et tortueuse descente aux enfers et tentent en vain d’exorciser leurs démons. La structure du film se dessine aux moyens de flash-back cassant la chronologie et étayant toute la dimension du lien morbide qui uni leur parenté. De leur figure au sein de la famille, leur initiation au crime, leur accès de violence et leur culpabilité, tout y est montré avec une mélancolie certaine. Le cycle de la violence qui se dessine peu à peu fini d’enfoncer chacun des personnages dans un océan de solitude profonde.
Magnifiées par les prestations de Christopher Walken, génialissime acteur fétiche de Ferrara, et d'un sublime Chris Penn alors auréolé de ses excellentes performances dans « Reservoir Dogs » ou encore « True Romance », ses thématiques chères au réalisateur contaminent la pellicule par un grain particulièrement marqué et déterminent comme une évidence le teint froid et l’éclairage assombri du film. S'appuyant sur une mise en scène d’un classicisme absolu, Ferrara offre donc une relecture peu élogieuse du monde de la mafia au moyen d’un intime portait familial, tortueux et définitif ou seules Isabella Rosselini et Anabella Sciorra semblent lucides dans ce tourbillon de désolation à l’issue inévitablement tragique.