Les histoires étant sensiblement toujours les mêmes depuis l'aube de l'humanité, le cinéma peut être considéré avant tout comme un art de la mise en scène, un langage qui conjugue technique, sensibilité et vision. Avec Nosferatu 3.0, Robert Eggers livre une œuvre qui semble avoir oublié cet équilibre fondamental.
À l'instar des classiques littéraires étrangers, qui nécessitent une retraduction bi-séculaire afin de mettre à jour une langue en perpétuelle évolution, les chefs-d'œuvres cinématographiques peuvent mériter les faveurs d'une relecture. Le Nosferatu de Murnau (1922) n'en fait pas exception. Après une adaptation plutôt oubliable de Werner Herzog en 1979, c'est au tour de Robert Eggers de tenter d'actualiser ce classique du cinéma expressionniste — Murnau frissonne dans sa tombe.
Une œuvre mécanique et froide
Nosferatu 3.0, malgré sa maîtrise technique irréprochable (et quelques effets gores plus que satisfaisants), se révèle mécanique, froid et dénué d’intelligence émotionnelle. La mise en scène d’Eggers manque cruellement de spontanéité et de sensibilité. Chaque mouvement de caméra, chaque effet visuel semble le fruit d’un algorithme, calculé à l’extrême, selon une logique implacable. En refusant l’imprévu et le chaos, Eggers déshumanise son art, au profit d'un sur-esthétisme déjà vu, qui laisse le spectateur sur le pas de la porte.
Exit l’expressionnisme : Eggers prend une direction plutôt réaliste, saucée de relents gothiques qui péchent par manque d'originalité et rythmée de rêves et d'hallucinations téléguidés, qui, malheureusement, s’avèrent insipides et dénués de souffle. Là où l’expressionnisme amplifiait la subjectivité pour révéler les émotions profondes, Eggers propose une imagerie, une poëtique, figée, lisse et nette, sans relief, sans contraste (paradoxe !) qui échoue à capturer l’angoisse ou à provoquer le trouble.
Une horreur prévisible et désincarnée
L’horreur devrait s’appuyer sur le mystère, l’imprévu et l’invisible. Pourtant, Nosferatu s’enferme dans une accumulation d’effets prévisibles : apparitions soudaines, musiques et effets sonores appuyés, battements de cœur amplifiés (!!) ... Ces artifices, bien que fonctionnels, manquent cruellement d’âme.
Les acteurs, eux aussi, peinent à incarner l’ambiguïté et le trouble nécessaires. Leur jeu et leurs dialogues souffrent d’un excès de logique et d’explicitation. Ce trop-plein étouffe les nuances, privant le spectateur de l’opportunité d’être impressionné ou de ressentir un malaise qui devrait accompagner les scènes de folie et d’hystérie. Résultat : le film se prive de toute dimension viscérale et humaine.
Une ambition trop épique
Réaliser une fable comme une épopée, nécessite un talent et des épaules — ce qui n'est malheureusement pas donné à tout le monde.
Eggers révèle davantage son talent dans des récits concentrés, comme The Witch ou The Lighthouse. Ces films, portés par une unité de lieu et d’action, laissaient la tension s’installer et développaient les personnages dans un cadre resserré. À l’inverse, Nosferatu 3.0 s’éparpille dans une fresque narrative trop ample, où l’intensité se dilue.
L’ambition du récit prive le film de la densité et de la profondeur psychologique qui faisaient la force de ses précédentes œuvres. À l’image de The Northman, qui souffrait déjà de la même maladie, ce nouveau film multiplie les séquences mécaniques sans jamais laisser l’image ou le spectateur respirer. On assiste, dans une déconcertante passivité, à une succession de séquences coulant débilement vers l'aboutissement du récit, et qui in fine — malgré la volonté de faire mouche — laisse parfaitement de marbre.
Conclusion
Nosferatu 3.0 est un plat sans sel pensé pour un public diabétique.
Mes déconcertantes recommandations pour aller plus loin sur la figure du vampire et les hommages au Nosferatu de Murnau :
- Bérénice (1954) et La Sonate à Kreutzer (1956) d'Eric Rohmer.
- Les Lèvres rouges (1971) d'Harry Kümel
- La Maman et la Putain (1973) de Jean Eustache.
- Souvenirs de la maison jaune (1989) de Joao César Monteiro
- Histoire de ma mort (2013) d'Albert Serra.