Dans le paysage cinématographique actuel, et plus particulièrement à Hollywood, on ne cesse de se lamenter sur les blockbusters insipides. Ces œuvres, calquées sur un même modèle, manquent cruellement de volonté artistique. De nombreux auteurs, dépourvus de style dans leur mise en scène, alimentent ce constat. Pourtant, il serait injuste d’ignorer certains réalisateurs qui tentent de se libérer de ces chaînes oppressantes. Ces derniers s’engagent dans un style unique et ambitieux.
S’il ne fallait retenir qu’un seul auteur récent, le nom de Robert Eggers s’impose. Ce jeune réalisateur prolifique possède un goût profondément ancré dans un style gothique, voire baroque. Cependant, il évite soigneusement toute imitation burtonienne pour inscrire son cinéma dans une vision propre. Son style, à la fois lancinant, surréaliste et psychédélique, s’est affirmé avec ses deux premiers longs métrages. Pourtant, pour votre serviteur, ces œuvres se sont révélées encombrantes. “The Witch” (2016) était parfois vulgaire, surfaite et inutilement complexe. Quant à “The Lighthouse” (2019), il frôlait l’absurdité.
Ce n’est que lorsque Eggers a choisi de réinterpréter plutôt que de créer qu’il a trouvé une véritable alchimie dans son œuvre.
Ainsi, avec “The Northman”, Robert Eggers insuffle une dimension épique et mythologique à son cinéma. Il revisite l’histoire du prince vengeur Hamleth, portée par les cris du Valhalla et les terres nordiques. Cette œuvre, imparfaite mais fascinante, souffre d’un manque de renouveau dans l’adaptation du récit shakespearien. Toutefois, elle reste brutale, sincère et unique dans son propos.
Après cette brillante incursion dans une mythologie, Eggers s’attaque à un autre monument. Il réadapte le comte Dracula, en se plaçant du point de vue du “Nosferatu” de Friedrich Wilhelm Murnau (1922). Œuvre majeure du cinéma européen et mondial, ce film trouve ici une relecture moderne fascinante, bien qu’imparfaite.
Ce “Nosferatu” revisité par Eggers, si attendu, prouve une fois de plus le talent du cinéaste. Il insuffle une vision désespérée et crépusculaire à l’œuvre originale. Le réalisateur perfectionne ses effets de style et prolonge son esthétique sombre, amorcée depuis “The Witch”. Cette continuité se manifeste également dans son casting. Ralph Ineson et Willem Dafoe, déjà présents dans ses précédents films, côtoient ici de nouveaux venus comme Aaron Taylor-Johnson. Ce dernier, bien qu’encore marqué par l’échec de “Kraven”, offre une performance juste.
Parmi les performances marquantes, il faut citer Nicolas Hoult. Après son rôle dans “Juré n°2”, il se distingue ici malgré une présence moins marquante face à deux figures dominantes. Lily-Rose Depp, d’abord. Après une performance controversée mais prometteuse dans “The Idol” (2022), elle trouve ici son rôle majeur. L’actrice incarne Hélène avec une justesse impressionnante. Elle frôle parfois le ridicule, mais parvient à préserver une force émotionnelle dans les moments intimes. Elle devient ainsi la figure féministe centrale du film.
Enfin, il y a Bill Skarsgård, parfaitement maquillé et terrifiant en Nosferatu. Déjà mémorable dans son rôle de Pennywise dans “Ça”, il insuffle mystère et peur à son personnage. Eggers, avec intelligence, cache cette figure monstrueuse dans l’ombre pendant une grande partie du film. Ce choix, également repris dans la campagne marketing, amplifie l’impact symbolique de Nosferatu. Le comte Orlock incarne la mort et la pourriture enfouie en chacun de nous. Cette emprise se reflète dans le personnage d’Hélène.
Hypnotisant est sans doute le mot qui décrit le mieux ce long métrage. La créature terrifie. La caméra d’Eggers captive. L’ambiance pèse sur les sens et plonge le spectateur dans une expérience immersive.
Cependant, cette réinterprétation souffre de quelques limites. Bien qu’Eggers maîtrise les codes de l’œuvre originale, il n’apporte pas de véritable nouveauté. Sa vision reste trop proche des versions de Murnau et Herzog. Ce manque d’audace engendre une certaine neutralité. On ressent une peur de transcender l’œuvre d’origine.
Ce problème était déjà présent dans “The Northman”. Le rythme, parfois lent et mortifère, alourdissait le film. On retrouve ce même défaut dans “Nosferatu”. Ses 2h12 semblent interminables, surtout dans la dernière partie. Le film perd en rythme et laisse un goût amer.
En conclusion, “Nosferatu” (2024) est une réinterprétation magistrale dans sa mise en scène. Eggers joue subtilement entre romantisme et putréfaction symbolique. Nosferatu, digne héritier du comte Dracula, est porté par une esthétique baroque et gothique. Cependant, son traitement académique du personnage reflète une malédiction récurrente dans le cinéma d’Eggers. Malgré tout, cette œuvre reste fascinante et s’inscrit logiquement dans la continuité de sa filmographie.