Après un premier quart d'heure assez lent, on fait la connaissance du premier point fort du film, son comte Orlok.
Loin du Max Schrek filiforme du film original, Eggers fait de son Nosferatu un monstre massif et sexualisé à l'extrême, aussi marquant par sa caractérisation archétypale que par la singularité de son accent et de son regard.
Le réalisateur croit en son monstre, et nous le vend parfaitement en quelques plans habiles.
En parlant de la réalisation, la caméra de Robert Eggers peut sembler très singulière au premier abord. Comme un spectre, elle flotte entre les personnages, et l'action semble presque être subordonnée à son regard, les personnages semblent parfois se positionner parfaitement pour satisfaire sa composition. Son approche est en vérité plus subtile et plus simple, c'est un travail d'adaptation. Réminiscent du cinéma des années 1920 (donc contemporain du film original), le film semble prendre la même approche que le "cinéma pur", qui se contentait d'adapter des oeuvres littéraires, et laisser au réalisateur le rôle de traduire les phrases en plans. Et c'est exactement le projet de Eggers, et ça saute aux yeux si on a lu le livre original. La caméra est avant tout le narrateur, et elle fait un travail très efficace.
Puisque l'on mentionne le livre, il est intéressant de noter que sont crédités au scénario et le film original, et le roman de Bram Stoker. Le film vient ainsi s'enrichir d'éléments du livre laissés de côté par le film d'origine, comme le médaillon que Ellen donne à Thomas. Il se permet par ailleurs plus d'idées visuelles , notamment des jeux d'ombres, et ne se contente pas de refaire plans par plans le film original (bien qu'il soit tenté de le faire par instants, les décors étant des exactes reproductions de ceux du film de Murnau).
Mais le véritable tour de force de Nosferatu est sa scène finale.
À partir de la première apparition du Comte se met en place une mécanique de récit inexorable, où tous les événements semblent se précipiter, et se passer indépendament de la volonté des protagonistes. Une progression inarrêtable qui n'atteindra son apogée qu'à sa toute fin.
Jusque là, le film optait pour des couleurs ternes, se rapprochant presque du noir et blanc de Murnau, mais dans cette scène finale, c'est dans une éruption de lumière que se joue le dénouement du récit. Dans un changement de perspective aussi bien visuel que narratif, nous est montré un sublime moment decinéma, qui restera sans nul doute un des plus beaux de cette année.
Nosferatu n'est pas un chef-d'œuvre non plus. Son premier acte peut être un peu poussif, et son histoire est prévisible. Bien que j'ai été personnellement convaincu par les acteurs, je comprends qu'on puisse reprocher le jeu de Nicolas Hoult ou Lily Rose Depp. Mais le film reste diablement bon, et ces rares reproches disparaissent en une fois sorti de la salle, quand seul subsite cet instant de grâce final imprimé sur notre rétine.
Coup de cœur.