Il y a des conseils, des recommandations amicales, transmis au cours de nuits sans fin, où l'amertume du jour, mêlée aux désespoirs de la nuit, s'enivre de ses propres borborygmes, que l'on souhaiterait n'avoir jamais reçus.
Notre curiosité (et parfois notre boulimie cinématographique, cela va sans dire) peut nous mener quelquefois dans des recoins de l'Art que nous n'aurions jamais cru possible, même à l'orée d'une mélancolie intarissable que l'on aurait connue, un beau soir d'été, ivre, lorsque les tilleuls sentaient bon dans les bons soirs de juin. Parfois, et nous nous excusons par avance des truismes qui suivront, nous découvrons avec stupeur que notre fatuité et nos aprioris étaient mal placées ; que nous étions de ces êtres nauséeux et puants, cacographes patentés, pétris de pensées gnomiques, inébranlables, qui n’avaient pas su, ou qui n’avait pas voulu voir, les potentialités et les qualités d’une œuvre. D'autres fois, que le fumet excrémenteux qui se dégageait des premières images offertes à nos yeux mornes et fatigués d'une existence répétitive, était réel et non la distorsion de notre vanité présomptueuse de petit scribe obséquieux et filandreux. Malheureusement, et à notre grand désarroi, Nosferatu de Robert Eggers, s'il nous faisait espérer beaucoup (peut-être trop), sombre allègrement, tels des pourceaux dans la fange, dans ce deuxième cas de figure.
Pourtant, la première partie de l'œuvre suggérait le contraire : une image ciselée, contrastée, digne d'un Georges de la Tour (on pense notamment à la scène, dans laquelle le jeune marié, interprété par Nicholas Hoult, arrive dans la forêt près du château de Nosferatu) ; un malaise, une ambiguïté subtile, égrenée de-ci, de-là, s’avançant, s’immisçant à travers des paroles, des gestes troubles ; une voix sans visage. Robert Eggers tenait quelque chose là, une forme de relecture (et d’hommage) du roman gothique, l’esquisse d’un glissement insensible d'une âme vers l'impensable, d'un renoncement de la raison pour l'acceptation abrupte du fantastique, de l'irréel.
Mais, qu'est-ce qui fait "masse", comme dirait l'autre ? Beaucoup ou, peut-être, peu de choses. On pourrait d'abord citer Lily-Rose Depp (ou nommée, dans les milieux confirmés, la femme aux trois expressions), exemple vivant que le talent n'est pas transmissible génétiquement, qui, jouant tellement atrocement, élève Béla Lugosi au rang de génie et le moindre nanar à celui de chef d’œuvre. Tout ce que fait cette pauvre dame frise le ridicule et l’on ne sait jamais si l’on doit rire ou pleurer (cf. la scène de possession, où la viscosité de la morve se mêle allègrement à la salinité des larmes).
Néanmoins, et le plus important, c’est que jamais, au grand jamais, Robert Eggers n'ira jusqu'au bout de l'impensable, ne transgressera, ne serait-ce que pour donner une forme de consistance à ce beau vide, les codes moraux aseptisés qui innervent nos sociétés occidentales. Un instant seulement, encore enclin à la volonté de donner une chance à l'œuvre et avide de sortir d'un ennui sidéral, nous avons cru que l'auteur allait nous surprendre, nous mettre face à la complexité de l'assujettissement qui unit eros et thanatos, en nous proposant une scène de nécrophilie suintante de pus et de bubons (cf. dans le tombeau des Harding). Mais... non : ellipse, il n'y a rien à voir.
Si l’on devait retenir qu’une unique chose, seule la présence de Willem Dafoe permet d’éviter à ce long-métrage de sombrer dans l’indigence, même si, à de nombreuses reprises, son jeu d’acteur tutoie lui aussi les moments d’humour involontaires (cf. lorsque les Harding, après l'exorcisme, demande à l'hirsute personnage son avis sur les causes du mal de la népotique actrice).
Bref, je suis maintenant lasse : Vade retro Eggersas !