Tâche assez compliquée par son ambition, avec Nosferatu, Robert Eggers s'attaque à une icône du cinéma d'horreur, à un monument, une œuvre matricielle qui a façonné l’imaginaire du vampire au cinéma. Et, soit dit en passant, après plus d'un siècle, un film toujours aussi efficace, bizarre et impressionnant (de toutes les différentes orchestrations – dont d'ailleurs Christopher Young, responsable des scores incroyables des deux premiers Hellraiser, en a signé un nouveau vraiment cool en 2023 – je vous conseille néanmoins la version orchestrée par Galeshka Moravioff, qui infuse une saveur étrange, onirique, voire même assez flippante à l'œuvre). Bref. Déjà revisité par Herzog en 1979 après la version de Murnau en 1922, ce personnage à l’allure de charogne a traversé les âges, imposant sa silhouette squelettique et son aura de peste vivante. Pas évident donc. D'autant plus que le film d'Eggers doit également se mesurer aux ouatmillièmes adaptations du Dracula de Bram Stoker, et pas des moindres : de Tod Browning en passant par Terence Fisher, sans oublier la très 90s version de Coppola – avec son Keanu Reeves nonchalant coupé au carré sortant de Bill & Ted, essayant du mieux qu'il peut (très mal) d'imiter l'accent d'un bourgeois londonien. Donc oui, un projet ambitieux. Et ça tombe bien, ambitieux, Eggers l'est sans aucun doute. Passionné par les peurs ancestrales et le folklore dès ses débuts, The Witch disséquait la paranoïa puritaine et la croyance en un Mal omniprésent. The Lighthouse plongeait dans les méandres de la folie et des mythes marins, entre sirènes et divinités lovecraftiennes (avec des scènes de prouts aussi). Ici, il revisite donc Nosferatu (un projet extrêmement personnel qu'il porte et essaie de monter depuis 2015), une figure du Mal plus insidieuse, un prédateur invisible à l'influence, à la puissance assez impressionnante. Alors l'ambition, c'est super, mais arrive-t-il à la hauteur de celle-ci ?
Premier constat déjà : visuellement, c’est un sans-faute. Eggers et son directeur de la photographie fétiche, Jarin Blaschke (The Witch, The Lighthouse, mais aussi récemment le Knock at the Cabin de Shyamalan), livrent un film où chaque plan semble sculpté à la main. L’image oscille entre le rêve et le cauchemar éveillé, avec cette patine ancienne qui donne l’impression d’observer un film d’époque sublimé par les outils modernes. Les contrastes sont saisissants, les jeux d’ombre sculptent l’espace avec une précision d’orfèvre. Une lumière maladive baigne l’ensemble, évoquant ces tableaux de l’époque romantique où la mort et le désir, l'Éros et le Thanatos, se confondaient dans des clairs-obscurs envoûtants. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y a du Caravage dans la façon dont Eggers éclaire ses décors, mais un peu quand même à travers une approche picturale qui renforce hyper efficacement la dimension gothique du film.
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