Le rêve américain à portée de gants. L'effleurer, le caresser un peu, le capturer ou s'y péter les dents. Devoir se coucher alors qu'on a toujours voulu rester debout.
Et les blessures sanglantes d'amertume et de peine.
Quand le rêve te fout une volée, te défonce la gueule bien-bien, à grands coups de droites quand toi, con que tu es, t'attends des gauches.
Ce rêve qui louvoie, de pas de deux en pas de deux, ricoche et explose aux yeux du monde. Ce monde de merde.
Ces chiens affamés qui crient, qui grondent, chauffés à blanc par l'arène et ses relents de transpiration et de larmes mélangés. Excités par ce carré blanc, posé là, au milieu, et la danse des quatre boules de cuir.
Un rêve qui te dérouille correctement, te tabasse ta face. Un tourbillon dévastateur qui ne te laisse ni le temps de souffler, ni même de jeter l'éponge.
T'as pas mal petit, t'as pas mal. Ok ok, pourtant t'es là, aplati dans un coin du ring, boursouflé, punching-ball de chair endolorie, maltraité, malaxé par la vie. Une vie de merde.
Robert Wise est un technicien hors-pair, qui du montage du Citizen Kane de Welles en passant par la mise en scène des Star Trek ou West Side Story, n'aura de cesse de le prouver, sans jamais oublier l'essentiel, l'homme et, surtout, ses tourments qui se nichent dans chacune de ses histoires. Et le mec n'a rien à envier à personne.
Il transforme un micro-budget de la RKO (pléonasme) et lui offre une patine visuelle, aux noirs et aux blancs rugueux, aux frontières de l’expressionnisme allemand. Il cisèle son récit, tient d'une main de maître des personnages qu'il fait vivre et transcende, pour son neuvième film, un scénario simple, noir de noir, et dépose un chef d’œuvre devant nos yeux ébahis.
Sombres et mélancoliques sont les eaux où Wise nous fait naviguer. Intégralement tourné en studio, dans un noir et blanc raide comme un uppercut, découpé au diamant, sans fioritures autres que l'âme humaine et ses tourments qui impriment la pellicule, il réussit son coup et secoue sévère, comme un round où t'aurais oublié le morceau de pneu qui te protège les chicots. Ça déchausse.
Et puis Robert Ryan est extraordinaire. Fêlé, cabossé, sec comme un coup de trique, ravagé par cette pute de vie, tel un train qu'il aurait vu défiler sans jamais pouvoir monter dans le bon wagon, à peine sur le marche-pied. Pour se casser la gueule.
Dans un monde pourri, peuplé de racailles et de margoulins, ce monde, terrain fertile au cynisme, aux combines, à l'atmosphère aussi épaisse et malsaine qu'un bar enfumé de la Porte de Montreuil. Et qui laisse exsangue, totalement chiffon quand se termine ce joyau.
Et c'est là qu'on dit merci. Alors, merci Monsieur Wise.