Hubert Sauper est un frondeur assez génial, qui a passé quelques années à construire un avion léger pour voyager au Soudan et partir à la rencontre des nouveaux colons : les Chinois d'une part, qui veulent le pétrole, et les Américains de l'autre, qui veulent sauver les Soudanais des Chinois en leur imposant la Bible (et sans doute récupérer le pétrole dans la foulée). Un petit monde horrible, que la candeur tintinesque de l'intervieweur Sauper parvient à surprendre dans toute sa grossièreté.
Qui plus est, Sauper a le sens du cadre. Il en fait des tonnes, mais parfois, simplement, par la disposition des corps, quelque chose de très fort se donne à voir. Des instants assez inouïs.
Cela dit, Nous Venons en amis souffre de deux gros problèmes. Le premier, c'est que hormis l'effroi de voir des abrutis dire des choses immondes, on n'en retire pas grand chose. Il manque peut-être plus d'attention accordée aux Soudanais, à leur parole (une femme émerge de l'ensemble, et sa parole est belle, mais le fait qu'elle soit seule, quasiment seule contre tous, la marginalise au sein même du film, bien qu'on sente que Sauper ait tenté d'en faire le coeur de son dispositif). Le deuxième problème, c'est que Le Cauchemar de Darwin était géographiquement très centré, que tout s'articulait autour d'une question, et cette question donnait au documentaire sa fiction, son fantasme ; ici, dans Nous Venons en amis, le présupposé est trop fort, annihilant les possibilités circulatoires du film. Toute la dimension "science-fictionnelle" du documentaire (à grands renforts d'extraits de Star Trek et de commentaires extraterrestres) semble plaquée, et le chemin parcouru par le cinéaste apparaît plus comme une série de hasards et de contingences un peu lâche que comme une vraie quête où le spectateur chercherait quelque chose avec le cinéaste. Sa place, d'ailleurs, face aux personnes interrogées, n'est pas très claire : sa candeur laisse la violence de ses interlocuteurs apparaître, mais elle agit peu, et cette façon de ne pas vouloir construire de discours, si elle semble parfois louable, est un peu paresseuse aussi.