Denier film de Mikio Naruse, « Nuages épars » se déroule dans le cadre de traits de narration relativement grossiers, à l’échelle de son cinéaste. On se croirait parfois face à un Douglas Sirk, tant le mélodrame se jouant ici repose sur les codes les plus évidents du genre. En tombant amoureuse de l’homme ayant tué son mari dans un accident, Yumiko donne au récit l’opportunité de nous entrainer sur les chemins les plus tortueux de son existence. D’emblée, le film l’introduit comme une simple femme japonaise : la première séquence narre en quelque plan son trajet quotidien pour manger avec son mari, la fondant d’emblée dans la masse. Mais Naruse ne néglige pas d’articuler son film autour de celui qui a rendu veuve son héroïne : Shirō, rongé par le remord. Le film se déroule comme dans un cocon : comme l’indiquent les flashbacks, ou même simplement les répliques et les répétitions, les personnages se retrouvent souvent dans des endroits où ils sont déjà passés, impliquant ainsi une mise en scène particulièrement introspective, hantée par les souvenirs et les sursauts de l’inconscient. Académique dans son approche, Naruse va pourtant laisser ses personnages éclore, s’accaparer du juste rythme pour nous dévoiler leurs mouvements intérieurs, mais aussi un fait : leur amour les persuade de leurs singularité au sein de la masse où ils se fondaient auparavant. Pour faire plus simple : il leur plait de déjouer les sentiers battus, jusqu'à se submerger. Par exemple, lorsque nos deux tourtereaux sont en voiture et s’arrête au passage à niveau : Naruse multiplie les gros plans sur les roues du train, renvoyant les personnages à leur irréalisable réalité. Un remarquable poème sur la possibilité d’aimer et l’impossibilité de vivre, où l’on revient toujours aux mêmes endroits, où l’on sert le café un peu trop brutalement.