A lire en écoutant ça: https://www.youtube.com/watch?v=sYD_U1CChew&t=3501
50. Un chiffre rond, la moitié de 100, le quintuple de 10: ça fait déjà beaucoup de fausses raisons pour s'atteler à revoir et critiquer un film qui m'est déjà cher: Oblivion. Second long-métrage de Joseph Kosinski, qui avait déjà réalisé Tron: L'Héritage, deux ans plus tôt; produit par Tom Cruise, avec Tom Cruise dans le rôle principal; bénéficiant d'un budget digne des plus grands blockbusters: avant même sa sortie, Oblivion était destiné à recevoir les étrons de pseudo-cinéphiles du monde entier. Oui, vous savez, ceux qui guettent la sortie des films "commerciaux" parce qu'ils veulent avoir quelque chose à casser, histoire de montrer qu'ils ont un sens critique aiguisé et qu'ils savent différencier les VRAIS films des FAUX films. Alors, oui, je vais faire l'avocat du diable, le temps d'une critique. J'ai décidé de défendre ce film qui m'a tant transcendé à l'époque où il est sorti, et si possible son réalisateur, Joseph Kosinski, qui est pour moi le plus prometteur de sa génération.
Faisant ses premières armes dans la publicité, Kosinski a couramment réalisé des spots pour deux jeux vidéos, tels que Gears of War ou Halo. N'importe qui ayant vu ses deux films reconnaît d'ailleurs là une patte qui lui est propre: un univers souvent épuré, encore plus souvent numérisé, proche de la science-fiction, mettant en scène des mondes à part, passés, présents ou futurs, des mondes possibles, utopiques et effrayants à la fois, dignes des plus grands fantasmes de la génération Y: être coincé dans un jeu vidéo ? Conduire des véhicules futuristes sur une Terre dépeuplée, apocalyptique ? Vous en rêviez, Kosinski l'a fait.
Car oui, dans Oblivion, Kosinski ressort encore une fois le budget badass (qu'il avait déjà bien utilisé dans Tron, pour les motos lumineuses) pour nous offrir à l'écran ces fantasmes, portant le film à un niveau esthétique déjà jouissif. Cependant, même le plus fervent fan de ce réalisateur que je suis doit reconnaître que la situation initiale, que le scénario, ou même que le schéma narratif, est simpliste. Oui. Simpliste. Comme dans 90% de sa filmographie, Tom Cruise est présenté comme un héros solitaire, viril, américain, fort, qui sait piloter des femmes et monter des motos (ou l'inverse, je sais plus), dans une situation initiale, justement, qui, je le comprends, a dû en agacer plus d'un. Quoi de plus simpliste et désinvolte que de mettre en scène Tom Cruise, dans son apparat de tous les jours, réaliser son boulot de tous les jours (à savoir réparer des drones), le tout sur une voix-off résumant la situation sur Terre, commentant les divers décors que le personnage principal traverse, des paysages certes magnifiques mais qui n'arriveront jamais à sortir de la tête de notre cher pseudo-cinéphile cette note de 3 qu'il s'est décidé à mettre, avant même d'entrer dans la salle ? Loin de se remettre en question, il recherche déjà le titre de sa critique, peut-être un jeu de mot, peut-être tout simplement une insulte à l'adresse de l'industrie cinématographique que constitue Hollywood, et dont selon lui Oblivion est le dernier étron en date. Mais d'ailleurs, pourquoi devrait-il se remettre en question ? Qu'est-ce qui différencie Oblivion de la masse des blockbusters qui sortent chaque été, de Pacific Rim par exemple, qui sortait la même année ?
Mes chers lecteurs, la réponse est dans vos oreilles, du moins si vous avez pris la peine de cliquer sur ce malheureux lien qui précède l'introduction de cette critique. M83. Encore une fois, Kosinski fait appel, pour sa bande-son à un groupe confirmé, et non pas à un compositeur. Qu'est-ce que ça change ? Je dois encore vous le dire ? Ecoutez l'OST de Tron, faite par les Daft Punk. Ecoutez l'OST d'Oblivion, en entier cette fois. Ecoutez maintenant l'OST de n'importe quel blockbuster, de ces quinze dernières années. Alors évidemment, vous me direz que je m'attaque à la masse, que je m'attaque à des films qui ne sont pas fait pour leur qualité, et donc dont la musique n'a pas grande importance, puisqu'elle sert simplement à accompagner l'action. Mais souvenez-vous d'Inception, souvenez-vous de Gladiator, qui sont aussi des blockbusters, et dont la bande-son a été, est, et restera légendaire. Des bandes-son réalisées par des compositeurs. Vous ne comprenez toujours pas où je veux en venir ?
Les meilleures bandes-sons créées pas des compositeurs ont tendance à revenir sur un thème principal, à accentuer l'action, à avoir un rôle uniquement symphonique et accompagnateur du film. M83, Daft Punk, (je peux même prendre l'exemple de Kavinsky pour Drive), ne se contentent pas de ça: ils créent, eux, une bande-son originale qui va participer à l'expansion de l'univers que souhaite poser le réalisateur, qui va donner de l'ampleur au film, et qui va l'enrichir émotionnellement, surtout, chose que l'on ne retrouve que très rarement avec des bande-sons de compositeurs. Voilà donc la première particularité d'Oblivion: une bande-son frénétique, agitée, mais qui sait aussi être planante et grave, qui va enrichir cet univers post-apocalyptique déjà exceptionnellement riche par ses images. "Mouais", fera notre pseudo-cinéphile face à cet argument. Puis il ajoutera, avec mauvaise foi: "Allez, je remonte à 4."
Mais Oblivion n'est pas que la transposition d'une bande-son à des images, tout aussi belles soient-elles. Oblivion, c'est aussi un fond - et oui, je vous vois déjà venir, moqueurs, à me voir prospecter une quelconque subversion à ce film. Loin de ressembler, en fait, à un personnage banal qu'interpréterait Tom Cruise, Jack Harper est le porteur de plusieurs symboles: le symbole de l'ignorant d'abord, le symbole du résistant ensuite, le symbole du martyr pour terminer. Maillon insignifiant d'un système dont on lui a inculqué les plus grands traits, Harper fait ce qu'on lui demande, chaque jour qui se suit, épaulé par sa compagne Victoria. Que fait-il ? Il répare des drones. Pourquoi ? Parce que le Têt le lui a dit. Le Têt, c'est cette grande forme triangulaire dans le ciel, refuge des survivants et tour de contrôle de tous ceux, comme lui, qui se démènent pour rendre la Terre habitable de nouveau. Il doit protéger les tour Hydro, qui pompent l'eau. Cela lui semble juste; les survivants ont forcément besoin d'eau. Il doit tuer tous les chacals qui s'approchent, car après tout ce sont eux qui, en envahissant la Terre, ont forcé ses habitants à se défendre de la sorte, à sacrifier leur planète. Cela lui semble juste; il n'a pas vécu la guerre, mais il doit venger ceux qui sont morts, même s'ils ne les a pas connus.
Mais Jack Harper a des souvenirs: il se rappelle d'une femme. Il se rappelle d'une brune, il se rappelle de New York, il se rappelle d'un observatoire. Pourquoi ? D'où peuvent bien provenir ses souvenirs ? Lui, il n'a jamais rien demandé à personne: le Têt l'a transféré sur Terre pour qu'il y travaille, et tous les jours il répare les drones, il fait ce qu'on lui demande. Bientôt, le Têt va le rappeler, lui et Victoria, et ayant fait leur devoir, ils pourront vivre leur vie là-haut, dans les étoiles, sur Titan ou ailleurs. Quand ? Il ne le sait pas. Bientôt. Depuis quand est-il là, déjà ? Il ne le dit pas. Le sait-il, d'abord ? Il lui semble qu'il a passé toute sa vie à traverser de long en large cet univers détruit, désertique, à réparer des drones qui servent à protéger les tours Hydro. Individu systématisé, qui ne relève que trop rarement les souvenirs si différents qui pointent dans son esprit, il va faire tout ce qu'on lui dit de faire, gentiment, obéissant en véritable Winston.
J'ai bien dit Winston. Pourquoi pas ? Cette femme, qui émerge dans ses souvenirs, et qui va bientôt faire irruption dans sa réalité si monotone, s'appelle bien Julia, pourquoi ne s'appellerait-il pas Winston ? A deux, ils vont faire voler en éclats cette vérité factice qui leur a servi de décor si longtemps, portant au grand jour une image malsaine de l'Autorité totalitaire, rejoignant une Résistance victorieuse, ce qui finira par passer pour une fin classique hollywoodienne, réflexion à laquelle chaque film avec un happy ending a droit. Il est trop tard pour être en 1984; est-il trop tôt pour être en 2084 ? Depuis quand lui cache-t-on la vérité ? Combien de temps s'est écoulé, avant qu'il ne se décide de frapper au coeur ce système si fourbe qui l'a exploité ? Jack Harper se rappellera de son humanité, peu importe où il est, qui il est, il se rappellera ses souvenirs, mais il ne prendra jamais conscience du temps qui passe, ce temps banalisé par l'habitude qu'un système ancre au coeur de son mode de vie, faisant de l'humanité, de cette étincelle de vie, un seul geste porté des millions de fois. En vain ?
Y a t-il vraiment une happy ending ? Cette fin, dans laquelle émerge la floppée d'êtres humains survivants, est-elle une bonne fin ? Comment peut-on supposer qu'ils vont survivre, sur cette Terre détruite à jamais, métamorphosée en un désert où la nature a repris ses droits ? Et après ? En posant la fin de cette façon-là, Kosinski pose une question que 1984 n'a jamais posée: celle de l'après d'un système monolithique et totalitaire qui finit par tomber. Effleurant autant de questionnements que possible, il traversera, malgré quelques défauts dus à l'ouverture à un large public, des thèmes que jamais aucun blockbuster n'avait ne serait-ce qu'abordé en surface.
Faut-il pour autant y voir tout ce que j'ai évoqué ci-dessus ? Je ne pense pas. C'est simplement l'aura qui ressort de ce film, ainsi que quelques tournures qu'a pu prendre le scénario, qui m'ont dirigé vers ces interprétations. On sent que Kosinski a peut-être été bridé par l'étiquette "grand public". Mais demeure tout de même le message qu'il aurait peut-être pu faire passer s'il l'avait réalisé en visant un autre public; un message certes diminué, mais présent. Qui a dit que tous les blockbusters devaient être vides ? Oblivion est le parfait exemple que oui, un film peut être grand public et être riche, autant dans le fond que dans la forme, autant dans le visuel que dans la musique. Reste, évidemment, au pseudo-cinéphile d'acquérir un petit peu d'ouverture d'esprit, avant de foncer tête baissé vers son 1.