Quand on est enfermé dans ce qui semble être une chambre d’hôtel pendant 15 ans, à manger tous les jours la même merde, à alterner entre shadow boxing, masturbation et tentatives de suicide (ratées) et que notre seule compagnie se trouve être une vieille TV, la seule chose que l’on a effectivement envie de crier c’est bel et bien: « Touche pas à mon poste ! »… De quoi rendre complètement marteau…
Oldboy nous narre l’histoire d’Oh Dae-su à la libération de ces 15 années de calvaire, histoire qui prend vite des allures de véritable tragédie théâtrale, une quête de vengeance jubilatoire, une descente aux enfers lyrique et sans concession.
Vainqueur du Grand Prix à Cannes, soutenu par le padre Tarantino lui-même, librement inspiré du Comte de Monte-Cristo, adapté du manga de N. Minegashi et G. Tsuchiya mais surtout réalisé avec 3 fois moins de moyen que Bienvenue chez les Ch’tis, Oldboy est l’un de ces films qui ne laisse pas indifférent. En bien ou en mal.
Film « coup de poing », Oldboy apparait comme baroque sur bien des aspects, réalisation insolente et virtuose, partis pris esthétique stylisés, scenario brutal et captivant, acting dantesque, le tout porté par une bande son qui lui offre une dimension opératique… C’est, malgré tout par ses nombreux niveaux de lecture que le film aura su capter mon attention.
« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es »
En effet « l’âme » du film est symptomatique du cinéma Coréen de ces dernières années dont il est, à mes yeux, le meilleur représentant. Il traduit et exulte une frustration refoulée trop longtemps par le pays et sa population. Je ne pense pas vous apprendre qu’avant la dictature militaire de Chun Doo-Hwan dont il a été victime, le pays du matin calme a subi la répression de l’occupation japonaise dont l’intention était d’éradiquer purement et simplement la culture Coréenne. Effacer son histoire, sa mémoire, ce qui faisait de la nation et de ses individus ce qu’ils étaient.
Cette gestation traumatique donnera naissance à ce que l’on appelle « La Nouvelle Vague Coréenne ». Une foule de jeunes cinéastes munis de leur camera prêts à shooter en quête de vengeance, une manière de se sentir en vie, de dévorer, eux aussi, ce poulpe « vivant ».
Manger c’est faire rentrer en soi un aliment qui devient soi.
« Oh Dae-su means go through one day at a time… »
Si Oldboy représente l’histoire de la nation, son protagoniste Oh Dae-Su en est la société. Prisonnière d’elle-même, de ses activités, de son mode vie, de sa redondance, de son dysfonctionnement. Il est d’ailleurs intéressant de se pencher sur ce dernier point, ou en tout cas la façon dont celle-ci perçoit ce qu’elle considère comme immoral et dysfonctionnel car c’est bien le point central de l’intrigue:
Dans sa dimension cyclique, le récit commence et s’achève sur le péché de l’inceste. Des motivations de Lee Woo-jin jusqu’au point de non-retour d’ Oh Dae-Su dans sa quête infernale, ce vice nous permet de dresser un étrange parallèle entre ces deux personnages alors liés dans ce qui est perçu comme une faute. Mais qu’est-ce qui dérange réellement ? L’acte en lui-même ou le jugement de cette forme de liberté ? Si le film pose intelligemment la question il évite subtilement de nous en donner la réponse. On peut alors plus généralement poser la question de la « différence », l’inconnu et l’interdit doivent-ils être systématiquement, stigmatisés, punis ? Le film est très/trop actuel.
Lors de la scène du purgatoire, en haut de la tour de béton et d’acier qui élève alors Lee-Woo-Jin au rang de Dieu, juge, bourreau et maitre du destin d’un Oh Dae-su qui n’assume pas, ce dernier change de discours se ment à lui-même, choisit l’hypnose pour se voiler la face…
Oh Dae-su, la société, n’a plus qu’à continuer à vivre au jour le jour, prisonnière d’elle-même, à regarder la télévision en boucle jusqu’à la folie.
Oldboy est mon premier film Coréen issu de la nouvelle vague, un véritable coup de foudre, jouissif, divertissant et intelligent (comme quoi, les deux ne sont pas incompatibles). Une claque, un violent coup de marteau sur le coin de la gueule que je considère bien volontiers comme un pure chef-d’œuvre, directement bombardé dans mon top 10.
Critique mise à jour après second visionnage en 2018.