Je crois que c’est l’un des seuls films que j’aurais préféré mater dans la cave humaine qu’est ma chambre plutôt qu’au cinéma. Imaginez la scène : affalé sur votre canap, un soir d’été, la fenêtre mi-ouverte, vous allumez Only Lovers Left Alive. Dans votre bunker nocturne où s’amoncellent bouquins, instruments de musique poussiéreux et autres chinoiseries en désordre, je crois qu’il y a moyen de kiffer sa race devant ce film.
Les décors sont géniaux de mystère. Des ruelles étroites et escarpées de Tanger, en passant par la ville désertique de Detroit – témoin d’une modernité en déclin – à l’appartement d’Adam, véritable prototype de la chambre adolescente mal rangée en plus évoluée, chaque lieu transporte le spectateur dans une atmosphère unique.
Le plus gros bémol d’Only Lovers Left Alive, c’est qu’il souffre du syndrome « Trivial Pursuit ». Comme une dissert’ de philo ratée en terminale, ce film énumère une masse d’auteurs, d’enjeux, de concepts qui se superposent isolément sans jamais réellement soutenir une ligne directrice qui est ici : la déchéance de l’humanité. (BOUM!)
Ce syndrome est incarné dans l’énumération effrénée de termes latins, d’écrivains qui agacent rapidement le spectateur. On énumère, on survole, jamais on ne creuse dans une explication précise. Le réalisateur a même trouvé une déclinaison originale de ce syndrome avec, tout au long du film, une parodie du jeu télévisée « Le Juste Prix » mais il s’agit là de trouver, non pas le prix d’un objet, mais sa date de fabrication. Bref, ces scènes sont agaçantes, car vides de sens pour le spectateur, car le propos principal n’est pas l’objet en tant que tel mais l’homme et sa déchéance. Fin quoi, j’ai pas choisi de mater ce film pour avoir une formation sur le boulot d’antiquaire.
Il faut parler de « déchéance de l’humanité » car le film pose, avec ses deux héros immortels, une perspective dégénérative de l’humanité au fil des siècles. Les deux romantiques que sont Adam et Ève (héhé), spectateurs d’une humanité devenue homogène, débile et inculte, se renferment chez eux et s’abreuvent – entre deux verres de sang O négatif – de livres et de musique. En bref, Adam et Ève souhaitent un retour aux sources anciennes de la vie : l’amour et la connaissance.
Vampires, ils se doivent de vivre la nuit, mais c’est surtout leur rejet primaire d’une société composée de « zombies » qui les poussent à vivre reclus dans leurs antres semi-obscurs.
C’est intéressant mais le gêne réside dans une vision trop manichéenne des humains : d’un côté, il y a les personnages principaux cultivés et lettrés ; de l’autre, une masse humaine homogène supposément débile. Le concept est intéressant mais les dialogues ne sont pas assez creusés. Ecouter des critiques sur l’humanité c’est délectable mais avec un minimum d’explication. C’est vraiment dommage qu’Adam et Ève passent pour deux adolescents attardés, peu occupés par leur emploi du temps, qui postulent gratuitement la débilité de l'homo sapiens sapiens derrière leurs Ray Ban noires, filtres nécessaires qui les séparent du monde colorée et faussement festif des « zombies ».
Ce film répond clairement à l’interrogation : « Comment vivre quand on a plusieurs vies ? » Beh, c’est très simple, on se fait sacrément chier. Au fil des siècles, on devient convaincu que l’humanité ne vaut rien et qu’il vaut mieux vivre reclus chez soi, la nuit, loin de toute activité humaine, pour mieux cracher sur la maladie qu’est humanité. C’est intéressant honnêtement, mais le fond, l’explication derrière tout ça, on ne l’a jamais ; le réalisateur préférant enchaîner des scènes esthétiques mais inutiles.
En conclusion, ce film marque donc par son ambiance singulière, on se sent littéralement transporté dans un univers fascinant mais le propos est malheureusement mis de côté.