Tel un viking, j’aurai invoqué auprès de mes dieux cinématographiques que le sang coule, que des rivières d'hémoglobines dégoulinent sur la chaussée d'une ville fantôme, mais je ne suis pas dupe, il s'agit tout de même d'un film de Jim Jarmusch.

Le réalisateur aux cheveux argentés, qui aurait pu avec sa bouille interpréter lui-même un homme-démon aux canines aiguisées, s'attaque à sa manière au film de vampire, en restant lui-même, sans concessions.

Le profond cafard qu'il tient (sans nul doute) de cette période faste et fertile, si caractéristique de la fin des années 1970 à New-York (Jim était un client régulier du mythique CBGB's), et qu’il a eu la chance de connaître, est transposée dans ce film, sauf que ce sont ses vampires dandys qui ont le spleen Baudelairien. Chez Jim, les vampires sont des êtres nostalgiques, d'une pureté cristalline rare, des êtres sensibles et diaphanes, et d’une créativité digne de Ty Segall. Des gens condescendants, des bourgeois bohèmes snobs et sympathiques, intellectuels, qui ne nomment les choses que par leurs noms latins respectifs, sans être pédants.

Pour ces vampires à la peau pâle, pourtant nègres d’œuvres légendaires, d’un Hamlet ou d’une symphonie de Schubert, j’ai nommé Tilda Swinton (pour qui un petit oscar ne devrait pas tarder), qui ici est une sorte de prototype de David Bowie version LOW ; le temps n'a pas de prise sur elle et cela semble inscrit sur son visage de glace. C'est un diamant blond. Elle excelle dans ce rôle qui lui va comme un gant, et montre pour la énième fois qu'elle se fout royalement de la coupe de cheveux du personnage qu'elle interprète, du risque pileux qu’il faut parfois endurer, des perruques qu'il est souvent nécessaire de porter (Burn After Reading, Snowpiercer, We Need To Talk About Kévin, Broken Flowers...), et prouve qu’elle aurait eu sa place à juste titre dans le récent « La Guerre Des Perruques » de David O.Russel (pardon « American Bluff »). Tom Hiddleston, comme à son habitude, ne peut masquer le caractère féminin de son corps et de son jeu d’acteur. Sorte de Jared Leto anglais, son regard et son interprétation témoignent d'une fragilité et d'une faiblesse terriblement humaines, dignes d'un Brad Dourif.

Jarmusch fait de cet univers des vampires une belle allégorie du monde artistique tel qu’il le perçoit. Ceux qui se font connaître ne sont pas meilleurs que les anonymes, à l'image de cette belle chanteuse à Tanger ("Elle a bien trop de talent pour avoir du succès")… les vrais artistes (talentueux) vivent à la marge, sont méconnus, ce sont des animaux de nuits, des vampires, des chauves-souris, qui ne sortent que la nuit, et les grands artistes (soi-disant) que l’on sait n’ont finalement fait que plagier les œuvres des véritables auteurs qui ne pouvaient vivre que dans l’anonymat, réduits malgré eux à cette valeureuse et humble condition du marginal nocturne. Hamlet n’a donc pas été écrit par Shakespeare, mais est bien l’œuvre d’un nègre anonyme, enfin... d’un vampire. Belle métaphore que voilà, le vrai artiste, le talentueux Mr. X est tapi dans l’ombre, dans la nuit... on ne pourra le voir.

Et cette langueur, accompagné de la meilleure musique rock (depuis Dead Man, tiens tiens… ) qu’elle est belle. Pourquoi ne jurer que par des films rythmés ? Après mon boulot (dans le social) qui me rassasie amplement de "rythmes syncopés" en tous genres – merci – j’aspirais donc à une autre forme de dynamique, à une autre cadence, à un relâchement. Et j'ai eu ce que j'étais venu chercher, du Down By Law quoi. Les lents travellings mélancoliques et poétiques de Jarmusch au coulis de ce rock fiévreux à la Neil Young m'ont fait beaucoup de bien, merci mon petit Jim.
Errol 'Gardner

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