Je n'ai pas pour habitude d'écrire des critiques sur les films que je vois, mais plus je repense à ce qu'à pu me faire vivre Arthur Harari à travers son film, plus l'envie de poser des mots sur ces sentiments se mue en besoin. Ainsi, tout comme les personnages du film tentent, parfois désespérément, de retranscrire leurs émotions par des poèmes, haïkus, ou autres chants populaires, à mon tour d'essayer de vous partager, humblement, mon ressenti sur cette œuvre qui a toutes les chances de me marquer durablement.
Suite à une brève scène d'introduction en 1974, au travers de laquelle le réalisateur met en évidence le terrain hostile qui servira de théâtre aux différentes péripéties, nous voilà catapulté en 1944, pour y suivre l'épopée du lieutenant Hiro Onoda sur l'île de Lubang, à travers les époques, les abandons, les disputes, les morts... Ce qui m'a immédiatement capté dans Onoda, et ce qui est selon moi essentiel à tout bon film de guerre, c'est son ambiguïté. Celle-ci joue par ailleurs à plusieurs niveaux. En effet, alors que le synopsis et l'intro pourraient nous faire croire à un Robinson Crusoé mâtiné d'Apocalypse Now, on se retrouve bien vite devant une sorte de "film de bande" où les quelques soldats restés sur l'île sous les ordres du lieutenant vont persévérer dans leur mission, faisant fit de tout obstacle, embûche ou autre piège pouvant tout aussi bien être la réalité.
C'est ici que se situe tout d'abord l'ambiguïté du film, dans ce rapport que l'on entretient aux personnages et à leur conduite, en nous demandant constamment si ces soldats méritent le respect ou la critique, des honneurs ou des moqueries. Car, bien que certaines scènes tendant vers le burlesque nous mettent dans une position très moqueuse vis-à-vis des protagonistes (la scène où deux personnages imaginent la géopolitique du monde extérieur par exemple), d'autres viennent nous questionner bien plus intensément, remettant notre point de vue en question et le spectateur à sa place par la même occasion. Très souvent la question "moi qu'aurais-je fais à sa place?" vient nous prendre et remettre en perspective notre vision de ces braves et pauvres soldats. L'ambiguïté du titre d'Arthur Harari se développe également par le rapport qu'il entretient avec l'image, avec ce qu'il décide, ou non, de nous montrer. En effet, dans 30 années de vie, il faut bien faire le tri pour offrir un récit de 2h45. Ainsi, les ellipses, censées resserrer l'action, sont paradoxalement le moyen pour le film de prendre de l'ampleur, et pour le spectateur de mesurer cette ampleur mais surtout de nuancer ce qu'il voit, de prendre du recul et de questionner chacune des finalement brèves séquences de vie qui nous sont mises en scène. Le montage devient alors un outil du propos global, poussant encore plus le spectateur à une humilité bien méritée.
Néanmoins, ce que j'ai finalement trouvé de plus beau dans Onoda, c'est son traitement lyrique des évènements qu'il nous rapporte. Alors qu'il aurait été bien simple de nous présenter des personnages écrasés par l'adversité et l'immensité des paysages (par ailleurs sublimes), Harari opte pour une approche plus intimiste, où chaque confrontation offre alors un degré de tension à nous couper la respiration : c'est cet instant suspendu quand un des quatre soldats baisse son arme en pleine fusillade, c'est cette scène terrible où la famille d'Onoda vient le supplier de se rendre, c'est enfin la mise à mort précipitée et paniquée d'une jeune civile terrorisée. A ces scènes de confrontation viennent s'ajouter de multiples passages de chants comme mentionnés plus haut, tout autant illustrations du combat éternel de ces soldats que de la mélancolie persistant chez ceux qui ont survécu. Enfin, je parlais d'instant suspendu quelques lignes plus tôt. C'est peut être bien ces passages qui me restent le plus en tête, que ce soit les discussions au calme sous une hutte, l'écoute de l'alunissage de 1969 (d'ailleurs très efficace et sobre outil de repère temporel pour le spectateur), la rencontre avec le jeune touriste vers la fin, ou encore la vision sur la plage, à attendre des renforts qui ne viendront jamais, d'un soleil rouge vif dans un ciel blanc crépusculaire, s'évanouissant dans l'horizon et rappelant bien inutilement aux soldats la fin de la guerre et la défaite des couleurs nippones.
C'est en mettant en scène non seulement avec talent et beauté, mais aussi avec poésie son récit que Arthur Harari nous propose une fresque intimiste, filmant un conflit qui n'existe plus, où l'obstination se mêle à l'abnégation pour offrir une œuvre perturbante, percutante et magnifique . Un grand film de guerre.