Comme son personnage principal, Arthur Harari a choisi de s'émanciper du réel pour viser un but plus profond. Parce que derrière le fait divers incroyable, ce qu'on appelle les soldats japonais restants, c'est l'invitation à appréhender une culture de la résistance armée qui nous est inconnue. Le cinéaste français choisi donc de tourner intégralement en japonais et de se délester du maximum de tropismes induits par la différence de nationalité. Une démarche humble, humaine et quasi-métaphysique dans ce qu'elle raconte sur le dévouement de cette poignée de soldats (parmi lesquels Hirō Onoda) et les extrêmes jusqu'où il les conduisit. Privé de contacts extérieurs, laissé dans l'ignorance la plus totale, à quoi se raccroche-t-on ? Retour à l'état sauvage, au chacun pour soi, au cloisonnement ? Étonnamment, pas tant que ça. On est même surpris de voir une cellule familiale se reconstituer sous nos yeux, des liens quasi-filiaux voire plus et tout cela avec une touchante subtilité. Onoda se bat pour conserver le souvenir de son instruction (sa dernière boussole), de ses directives sans parler de l'endoctrinement patriotique jusqu'à ce que tout cela devienne une croyance nécessaire pour cultiver l'illusion. Onoda tire en longueur dans sa dernière ligne droite, mais il n'empêche que la fascination n'a pas laissé place à place à l'ennui sur près de 2h20.
Arthur Harari a découpé son film de telle façon que chaque ellipse amène ses personnages à un tournant décisif tout en rendant compte des effets du temps et de l'isolement sur le corps ainsi que l'esprit. La prépondérance de plan large sur une jungle magnifique renforce l'impression d'enfermement dans une nature autant synonyme de refuge que de prison (analogie du mental de son héros). De ces moments jusqu'aux rares et soudaines attaques, et quoiqu'on ait pu craindre une contemplation excessive, l'objectif reste toujours focalisé sur Onoda et ses hommes. Le monde extérieur, que cela concerne les fermiers ou les ennemis, l'est vraiment. Lointain, diffus, presque irréel. Les évènements authentiques sont dissociés de leur sens, vient le moment où notre héros les soustrait à une réalité alternative le poussant vers une forme de psychose d'illuminés. Même si l'écriture s'autorise quelques petites notes d'humour, la tendresse et le respect sont largement perceptibles. La poésie derrière la fable prend de multiples formes, de l'onirisme à une symbolique jamais appuyée (notamment par le biais de chants salvateurs).
Onoda - 10 000 nuits dans la jungle est une invitation à ressentir, partager et penser à travers les yeux de ces hommes privés d'ordres, privés de leurs repères, d'une voix dans le lointain. Le genre d'expérience qui de fait réclame du temps d'introspection voire de méditation pour être digérée. Quoiqu'il en soit, en ressort un sentiment d'admiration envers le travail de Harari, de cette humilité derrière cette l'histoire d'une immersion de 30 ans en zone indéfinie entre le réel et l'abstrait. Une incitation au respect envers ceux qui furent peut-être nos adversaires un jour mais nous sont éternellement proches jusque dans les moments de dérive.