Le scepticisme formel et thématique insufflé par Le Prestige irrigue les veines de la filmographie de Christopher Nolan. Nous voilà dans une œuvre sur la lutte acharnée de deux magiciens dont la résolution thématique reposait sur un tour de passe-passe transformant l'illusion cinématographique en formule algébrique. En bref, la science (la téléportation) se substituant à la magie sous les yeux de David Bowie. En apparence, la scène n'a fondamentalement rien d'impactant hors des frontières du Prestige, néanmoins l'industrie Hollywoodienne allait connaître une petite révolution souterraine par son biais métaphorique : celui de l'ultra-realisme thématique du Blockbuster, un courant cinématographique scientifique/cérébral/authentique/pragmatique créé de la main du réalisateur de* Inception*. Bien que précoce dans sa filmographie, l'orientation esthétique de Nolan (la fameuse Nolanisation) amorçait ce que l'industrie du milieu des années 2000 engendrerait d'inédit en terme de productions. Depuis,
Denis Villeneuve **(Dune), **Paul Greengrass
(
Jason Bourne), le *Bond *de l'ère
Daniel Craig,
Christopher McQuarrie se sont également engouffrés dans la brèche avec comme perspective de façonner des cadres en phase avec le contexte actuel. Un contenu s'exprimant par l'entremise d'une poignée de nouveaux dogmes:
La désacralisation formelle.
L'humanisation des icônes et des mythes (Batman & Bond).
L'application des sciences pour une véracité des faits.
La conceptualisation d'une architecture moderne et épurée -le lissage de la production design- pour un réalisme et une proximité à toute épreuve qui ne souffriraient plus l'enchantement iconographique des** Spielberg/Zemeckis.**
Oppenheimer ne failli pas à la règle et fait état de la physique et de l'histoire comme si la réunion de* Dunkerque* et Tenet prenait enfin corps. La radicalisation de l'Art Nolanien depuis trois films passe par la main mise du scénario d'un auteur omniscient désormais seul aux commandes. Grand absent de Dunkerque et Tenet, Jonathan Nolan reflétait sans doute l'aboutissement littéraire des dernières oeuvres de
Christopher **bien que son absence sur Batman Begins et Inception ne se soit jamais faite ressentir. Et c'est bien du meilleur tonneau qu'émerge cet Oppenheimer résolument portrait en creux du réalisateur d*'Interstellar* et objet de science scruté par un cinéaste extatique devant "ces sorciers" du monde moderne. Derrière le physicien qu'il met en scène **Nolan
se voit tour à tour artiste adulé par ses pairs et son public avant de faire face à ses détracteurs et à la difficulté financière et technique de réaliser une oeuvre. Le carcan militaire et administratif empreint de politique et de diplomatie représentatif des longs échanges de
Robert Oppenheimer se devine au travers des concessions d'un cinéaste qui aura tôt fait de quitter sa maison mère - la bien nommée Warner- pour intégrer un équivalent - La Universal - plus en adéquation avec ses désirs de grandeur cinématographique. L'histoire est aussi connue que celle du Loup blanc et s'applique autant au cinéaste qu'au physicien : Le peuple érige des statues avant de les voir s'écrouler avec fracas.
Mais bien plus qu'un parallèle trop évident sur des créateurs amenés à se questionner chacun dans leur domaine, Oppenheimer retrouve en partie cette fibre passionnelle que Nolan développe depuis Le Prestige puis sublimée dans *Interstellar : la magie moderne réside dans les sciences. Les équations appliquees au tableau ne sont que des formules de magiciens érudits capables d'engendrer la mort à grande échelle. Mortifère, Oppenheimer* retire des vies là où Interstellar désirait les voir s'épanouir dans un autre univers. Parce qu'il y est question d'un sens que l'on donne à notre monde dominé par la politique et les sciences, le dernier né de Nolan n'est que l'allégorie du sempiternel pouvoir des gouvernants et de leur main basse sur le monde. Car, en dehors, de sa rhétorique et de son vocabulaire scientifique parfois abscons, le réalisateur de Dark Knight rejoint le* JFK* d'Oliver Stone et le Zodiac de David Fincher (toutes proportions gardées) dans sa propension à nourrir le spectateur d'informations edifiantes au cœur d'une immense tartine ricaine issue de faits improbables où seul un film pourrait en faire la synthèse mythologique. Comme à son habitude la partition manque parfois d'oxygène alignant au premier abord pléthore de vignettes enrobées d'ellipses courtes aidées d'une musique envahissant l'espace confiné. Dans l'absolu, on préfèrera se délecter des faces à faces inédits - Murphy vs Downey Jr/Murphy vs Matt Damon - enserrés le plus souvent dans des bureaux au volume restreint avant de prendre l'air à plein poumons au coeur de plans filmés en grand large au Nouveau-Mexique et signature de son chef d'orchestre.
De cette expérience tout en verbe (plein cadre) et en horreur historique (hors champ), Christopher Nolan ne cache désormais plus son admiration pour les formes minérales et les atermoiements du Cinéma de Terrence Malick déjà présents dans* Interstellar. Le secret d'une petite partie de son succès ? *La preuve en image https://youtu.be/UVUXDn6hCY4