Suite à une décennie faste entre 2005 Batman Begins et 2014 Interstellar, Christopher Nolan est devenu une référence pour les adeptes des salles obscures. Je ne manque pas la sortie d’un de ses films au cinéma ; il sait exploiter les possibilités techniques de son art et l’expérience en salle apporte une réelle plus-value à ses œuvres. Toutefois, des scories persistent dans son cinéma et ont tendance à s’accentuer avec le temps. Tenet en était une illustration. En 2023, il présente son nouveau film Oppenheimer. Celui-ci inaugure un nouveau chapitre dans sa carrière puisqu’il est désormais distribué par Universal Studio, après 18 ans de collaboration avec Warner Bros., rupture motivée par la décision du studio de sortir simultanément Tenet au cinéma et sur HBO Max lors de sa sortie, décision à laquelle Nolan attribue l’échec commercial de son précédent film.
Oppenheimer propose de retracer la biographie du physicien sur 3 périodes : de sa formation au largage de la bombe A, son audition par un comité d'accréditation et l’audition du sénateur Strauss qui doit se justifier de ses accointances avec lui. Nolan oblige, nous naviguons grâce au montage entre ces 3 périodes de façon relativement logique au regard de ce qui est raconté.
Le procédé ne m’a pas procuré d’ennui. Je pense que j’aurais pu tout à fait continuer ainsi une heure ou deux. Cependant, je me suis rapidement fait la remarque que ce qui nous était présenté allait bien trop vite : « ah tiens, ils sont amants », sans qu’on ait vu ce qui aurait pu les rapprocher. Lorsqu’Oppenheimer conduit sa fille encore bébé chez Chevalier pour la protéger de l’alcoolisme de son épouse, on découvre qu’ils sont des amis proches, sans que cela eut été préalablement établi. Je n’ai pas non plus réussi à comprendre quels travaux avaient rendu Oppenheimer connu dans le domaine de la physique quantique. Bref, tout passe trop vite. On voit les faits mais on ne comprend pas les rouages psychologiques des personnages. Je ne me sens pas suffisamment impliqué par leur destin. Je n’ai pas ressenti le vertige existentiel auquel Oppenheimer a dû faire face au moment de créer l’arme la plus puissante de l’humanité. Une œuvre d’art filmique ne pourrait se résumer à un exposé comme le fait Oppenheimer. La raison à cela est l’envergure de l’histoire que Nolan souhaite porter à l’écran. Avec un tel sujet, une mini-série aurait eu sur moi un impact émotionnel beaucoup plus fort… que trois heures de faits distribués à un débit soutenu.
Comme je le disais en introduction, le film brille par ses qualités techniques. La photographie est sublime et je n’ai rien de plus à ajouter. Concernant le son, il s’agit évidemment d’un domaine auquel il porte un soin très rigoureux. C’est un aspect très riche et détaillé de son film.
Là où le bât blesse en revanche c’est au niveau des dynamiques. Oppenheimer est un film bruyant ; tout est fort, il y a très peu de nuances ; ou bien Nolan veut rendre sourd ses spectateurs, ou bien c’est lui qui est sourd et il ne se rend pas compte de son mixage (et il devrait alors bien prendre d’urgence un rendez-vous chez un ORL). On finit par croire qu’il se donne un malin plaisir à couvrir ses dialogues sous la musique assourdissante de Ludwig Göransson.
Avant de conclure, je voudrais dire un mot sur la distribution des rôles. Cilian Murphy est vraiment excellent dans son rôle et de manière générale les acteurs font un excellent travail. Toutefois, je ne sais pas si je suis le seul à avoir ressenti cela, mais certains choix de casting comme l’arrivée de Matt Damon, celle de Casey Affleck ou même Gary Oldman m’ont fait un peu sortir de l’histoire. Enfin c’est plus un détail personnel.
Finalement, je considère qu’Oppenheimer est un film instructif, certes long mais qui ne m’a pas paru interminable. Néanmoins, ce film n’est pas à la hauteur du potentiel de cette histoire. J’ai eu l’occasion de voir Nolan en entretien. Il semble enfermé dans ses dogmes. Il ne parvient pas à raffiner son art et poursuit dans ce qu’il sait déjà faire. Lui qui admire tant Kubrick devrait s’inspirer un peu plus de sa manière de raconter : ralentir le rythme de l’histoire, diminuer la quantité de dialogue au profit d’une grammaire visuelle aussi riche et plus subtile.