Nolan s'attaque à une figure historique à la hauteur de ses envies de démesure. En narrant les grandes étapes de la vie de Robert J. Oppenheimer, le réalisateur peut donner un souffle épique à une aventure avant tout théorique et scientifique, se lâcher sur la musique et garder quelques-uns de ses gimmicks les plus caractéristiques comme les entrelacs temporels. Sans surprise pour un biopic, le film joue à fond la carte de l’iconisation du scientifique et directeur du projet Manhattan, quitte à effacer aussi bien son entourage que les aspérités de sa vie.
D'un premier abord, le film est très réussi aussi bien d'un point de vue narratif que visuel. L'action est claire, l'intrigue est lisible et plutôt captivante. La photographie ou plutôt les photographies sont magnifiques et les acteurs ont été soigneusement choisis pour leur rôle, ce qui donne des performances individuelles et collectives excellentes. Le film arrive à condenser un peu près 50 ans de vie en 3h, et si le film connaît peu de pause on ressent finalement assez peu le poids de sa durée. Le mélange des trois arcs narratifs permet également de dynamiser toute la partie procédurale qui aurait été assez fastidieuse, et permet ainsi au film de retranscrire différentes ambiances politiques aussi bien électriques qu’angoissantes dans les États-Unis d'avant, pendant et après-guerre, sans oublier la guerre froide.
Oppenheimer est donc un bon biopic et un film de bonne facture. Mais il manque à mon humble avis d'une couche d'émotion pour en faire un grand film. Là aussi sans grande surprise, le film agrège la plupart des défauts que l'on fait régulièrement à Nolan : souvent dans l'exposition voire dans l'explication, le film est souvent beaucoup trop verbeux et technique et offre peu d'aspérité émotionnelle auxquelles s'accrocher. Bien que le sujet fasse intervenir un grand nombre de personnes, j'y vois davantage des noms et des postes que des humains. Le film est dans son ensemble plutôt froid, et le mélange des arcs narratifs ajoute une complexité relativement vaine. Pourtant on a pu voir avec Interstellar que Nolan sait nous émouvoir dans l’épique, et ce n'est pas non plus une incapacité des acteurs de nous transmettre des choses — ainsi Emily Blunt a une scène à la fin qui lui permet enfin d'insuffler l'humanité qui manquait à son personnage. Mais globalement le traitement du film reste encore une fois beaucoup trop dans une forme de pédagogie. Face à des dialogues trop techniques et répétitifs, Nolan choisit de les noyer sous une musique ininterrompue. On peut également avoir l'impression qu'il cherche à conjurer son formalisme et sa froideur par l'ajout de la romance pseudo-sulfureuse avec Florence Pugh ; épisode qui au final apporte peu de chose et paraît par son aspect presque trop charnel bien incongru dans le reste du film.
On voit bien que Nolan a choisi un sujet quasi mégalo et que lui-même semble tenter de rattraper ses travers habituels par des artifices plus ou moins grossiers, cherchant à insuffler du cœur à l’ouvrage. Encore une fois tout n'est pas négatif et Oppenheimer impressionne. Cela reste un bon film, qui bien sûr va raconter une histoire (avec ses partis pris), mais il échoue à nous embarquer émotionnellement et à mon avis ne restera pas éternellement dans nos mémoires.