"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme"

Un film aussi paradoxal que son sujet. C’est ainsi que l’on peut résumer Oppenheimer, blockbuster phare de l’été 2023, qui se révèle aussi déroutant et ambigu que le personnage qui lui donne son titre.

Le paradoxe est l’une des marques de fabrique de Christopher Nolan dont le succès est certainement fondé sur sa capacité à allier divertissement et ambition - sinon prétention - artistique. En juillet 2023, la promotion de son Oppenheimer promet au spectateur de profiter de ce que les salles de cinéma peuvent offrir de plus grandiose en matière d’immersion phonique et visuelle. Pourtant, la grande majorité du film est constituée de dialogues dont beaucoup se déroulent dans une pièce étroite et dénudée. Le public en aura cependant pour son argent. Majesté des paysages, esthétisme des mouvements de caméras, omniprésence de la musique, montage frénétique, tout semble pensé pour en mettre plein la vue du spectateur. L’objectif est atteint mais il l’est au détriment de l’émotion dans un film qui se montre, dès les premières minutes, trop lisse. Cette mise en scène « commerciale » et la recherche permanente de l'aphorisme donnent en effet le sentiment d’assister à une succession de clips ou à une bande-annonce de 3 heures.

Hautement spectaculaire, Oppenheimer est à la fois un biopic de scientifique, un film historique et un film de procès. C’est peu dire que le film est dense tant les scènes et les dialogues s’enchaînent avec rapidité et, malgré cette densité, on en ressort avec l’impression que de nombreux points auraient dû être mieux expliqués ou plus approfondis. La complexité des scénarios de Nolan est légendaire mais celui d’Oppenheimer se disperse entre le projet Manhattan, la prolifération nucléaire, le développement de la bombe H ou encore la paranoïa anti-soviétique. Dès lors, on peut regretter que l’un ou l’autre de ces sujets ne soient pas davantage traités et le film porte au moins autant sur l’audition de sécurité de 1954 que sur les recherches menées à Los Alamos.

Oppenheimer souffre donc davantage d’un trop-plein que de défauts et il possède d’évidentes qualités qui ne doivent pas être occultées. Les dialogues marqués par le charisme de Matt Damon et le fameux magnétisme de Cillian Murphy gagnent en aura ce qu’ils perdent en naturel. Dans cette succession de scènes visuellement trop maîtrisées, deux sont véritablement inoubliables. La première est naturellement celle de l’essai « Trinity ». Nous y sommes embarqués dans l’équipe du projet Manhattan et partageons l’angoisse des scientifiques à propos d’une réaction en chaîne qui embraserait l’atmosphère. S’en suit une déflagration d’une lumière hallucinante accompagnée d’un silence étonnant qui ne doit traduire qu’une petite part de l’intensité d’une explosion atomique. La seconde est celle du dialogue énigmatique entre Oppenheimer et Einstein qui constitue un des nombreux fils rouges du film. Ayant aperçu leur échange, Lewis Strauss (Robert Downey Jr) est persuadé d’avoir été l’objet d’une médisance. Einstein n'a-t-il pas ignoré son regard en le croisant par la suite ? Et si les deux savants avaient échangé des mots plus importants ?

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait Rabelais et Christopher Nolan nous le rappelle dans une œuvre qui veut interroger, impressionner, surprendre, qui cherche à dénoncer l’orgueil politique, l'orgueil scientifique, l’absence de vision éthique, le maccarthysme et les dangers de la prolifération nucléaire. C’est beaucoup pour un seul film qui s’avère frustrant à cause d’un excès d’ambition et d’un manque d’émotion.

Tsi-Na-Pah
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le 23 juil. 2023

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