Adepte des projets ambitieux, Christopher Nolan s'attaque à un sacré morceau : un biopic sur Robert Oppenheimer, le père de la bombe atomique. Un sujet d'une triple complexité.
D'abord car la bombe A représente l'un des accomplissements scientifiques les plus fous de l'Histoire. Ensuite car Oppenheimer est une figure dense, pleine de paradoxes (pacifiste mais créateur de l'arme la plus terrifiante de tous les temps !). Enfin, car le contexte politico-militaire entre les années 40 et 60 est tout simplement passionnant. Entre lutte contre le nazisme et les Japonais. Puis maccarthysme, guerre froide, course à l'armement, et combines politiques.
Nolan a fait le choix d'écarter presque totalement le volet technique, limité à quelques dialogues sur l'eau lourde, le plutonium, ou la puissance de la bombe. Une approche un poil frustrante, qui permet néanmoins de pleinement de focaliser sur les deux autres thématiques. D'autant que par le passé, Nolan était souvent maladroit (voire à côté de la plaque) dès qu'il abordait les sciences dures, et le nucléaire en particulier.
"Oppenheimer" sera donc à mi-chemin entre le drame et le thriller politique, s'inspirant visiblement beaucoup sur la forme du "JFK" d'Oliver Stone.
On retrouve en effet un récit ultra dense raconté sur 3h, avec des dizaines de personnages, et un scénario très bavard. Mais comme son modèle, c'est méticuleux et prenant. Je n'ai pas regardé ma montre un seule fois, c'est dire si la tension est brillamment gérée. Pourtant on connait tous l'issue du test Trinity !
Le montage est excellentissime, faisant des allers-retours entre la vie d'Oppenheimer et deux séquences de pseudo-procès qui s'emboîtent. Permettant de développer les thématiques choisies en allant au plus efficace.
C'est bavard mais le spectateur n'est jamais pris par la main. Les personnages n'expliquent pas le scénario au spectateur (oui oui "Tenet", c'est de toi que je parle !). Ils interagissent et échangent des informations cruciales. Et il faudra se souvenir des noms et des nombreux visages.
A ce niveau, à ma grande joie, de nombreux grands physiciens sont représentés (Bohr, Einstein, Fermi, Heisenberg...), témoignage de la grande ébullition scientifique qui régnait à cette époque !
La distribution est d'ailleurs phénoménale. Certains n'ont qu'une scène mais c'est toujours excellent. Personne ne semble laissé sur le carreau. Je retiendrai évidemment Cillian Murphy, très souvent filmé en gros plan, et dont il s'agit peut-être du meilleur rôle. Et puis Robert Downey Jr, que j'ai pris un grand plaisir à retrouver hors des Marvelleries.
Je terminerai en disant que "Oppenheimer" est un vrai film conçu pour le cinéma. C'est très beau, que ce soient les gros plan, ou les images plus "psychédéliques" représentant la physique. Ou même les séquences en noir & blanc, dont la photographie est magnifique. Avec en prime un montage sonore est aux petits oignons, appuyé par la jolie BO de Ludwig Göransson.
Cela donne lieu à des séquences qui prennent aux tripes. Il y a bien sûr le test Trinity, mais aussi des passages plus expérimentaux très inattendus (surtout de la part de Nolan !), qui fonctionnent à merveille.
Cerise sur le gâteau, son message sur le danger de la course aux armements, ou de la rupture technologique qui échappe à son créateur, fait totalement sens en 2023. Année où la menace nucléaire revient par la guerre en Ukraine, et où le nouveau potentiel de l'IA effraie beaucoup.