On sait à qui Walter White a piqué son chapeau.

Je suis sorti très partagé d'Oppenheimer.

Pour commencer avec les choses que je n'ai pas aimées, je dirai qu'elles sont condensées dans la première heure de film. J'ai eu l'impression de voir une succession de dialogues plus ou moins intéressants sur lesquels on ne s'attarde jamais (ni sur une bonne partie de ce qu'il y aurait à voir à l'écran lorsque ce ne sont pas uniquement des gros plans sur les visages des personnages) avec des cut extrêmement fréquents, une succession de champs-contre champs envoyés à vitesse grand V, comme par peur que le spectateur ne s'ennuie face au manque d'action, en compensant ce manque par un montage à la limite de l'épilepsie (qui selon moi ne se justifie pas dans cette première partie). Il y a aussi la scène où Oppenheimer traîne dans un musée, qui sort un peu de nulle part, dont je me suis dit qu'elle n'était là que pour meubler, montrer que c'est un intellectuel dont le champ de curiosité s'étend au-delà de son domaine d'étude. On le voit s'arrêter devant un tableau de Picasso qui visiblement le touche, mais on ne comprend pas pourquoi ce tableau, pourquoi Picasso, quel est le rapport. Ce n'est que plus tard, à la faveur d'un dialogue qu'il parle du contexte de révolution de l'époque, qui s'exprime en science, en art et en politique, qu'on comprend le sens de cette scène. Elle démontre, je pense, les principales (et sérieuses) limites du cinéma de Nolan, qui intervient d'ailleurs souvent dans le film: les images ne dialoguent pas entre elles, ou si peu, mais avec des dialogues (trop à mon avis). Il n'arrive pas réellement à montrer les choses et les raconte beaucoup trop. Dommage, je croyais que c'était du cinéma.

Pourtant, à d'autres moments le film est génial. Je pense aux minutes qui entourent l'essai de la bombe, à partir de l'installation à Los Alamos, à l'explosion de la bombe qui est une séquence d'une intensité exceptionnelle (et aussi je trouve d'une beauté qui en restitue tout l'effroi et n'en est que plus intense), avec le silence, la citation... Et le traitement du temps. On comprend qu'entre l'explosion et le blast, quelques secondes sont passées, mais ces secondes sont dilatées à la mesure de l'intensité du climax. Pareil pour les moments du film où Oppenheimer verra ou imaginera l'explosion et ces effets.

A partir de cette scène, et pour quasiment tout le reste du film, on tombe dans une sorte de thriller d'espionnage (la partir "procès") assez passionnant et d'une maîtrise bien supérieure au début du film, malgré une résurgence, vers la fin du film, des défauts de la première partie qui m'ont franchement gâché le visionnage. Mention spéciale à la prise d'otage exercée par la musique et aux excès du jeu de RDJ qui m'a paru trop excessif et sans nuance.

Bref, un film logorrhéique qui se rappelle de temps en temps de faire du cinéma. Heureusement qu'alors il arrive à s'en sortir.

Pour finir, trois remarques: c'est, il me semble, la première fois qu'on voit de la nudité ou une sexualité aussi explicite dans un film de Nolan. Pourtant, la première scène de sexe est presque automatiquement freinée par le dialogue autour des livres de la bibliothèque d'Oppenheimer et le fait qu'il lise plusieurs langues étrangères. On voit qu'il y a là un rapport très cérébral au sexe. Mais cette scène, où la phrase de la Bhagavad Gita est prononcée pour la première fois raisonne avec l'explosion de la bombe où elle est prononcée de nouveau. Et un lien se tisse entre l'amour de Robert et Jean, la mort (celle de Jean, celle des victimes de la bombe) et l'intellect. C'est d'ailleurs ce qui pourrait sauver la scène, tellement on a du mal à croire à cette partie de jambe en l'air interrompue (en vérité, même si je vois où ça va, je pense que c'est une des pire scènes du film). Mais c'est la deuxième scène de sexe qui m'a la plus impressionné. Au cours de son procès, Oppenheimer apparaît nu, mis "à poil" par les intrusions dans sa vie privée. Puis Le corps de Jean apparaît, ils font l'amour. Quel est le point de vue ? Qui imagine quoi ? Probablement tout le monde, puisque tous les points de vus sont adaptés pour filmer la scène. Ceux des interrogateurs, celui de la femme d'Oppenheimer. Et même le sien (en tous cas c'est l'interprétation que je fait du fait qu'au lieu de regarder la femme d'Oppenheimer comme on aurait pu s'attendre qu'elle le fasse si il s'était agi d'une pure vision de la jalousie de Katherine, elle a l'air seule avec lui, dans un autre espace temps). On a donc plein de regards, plein de sentiments et d'émotions mêlés autour de deux corps nus et exposés.

C'est assez notable dans un films où presque tousses personnages sont plats, ne donnent l'impression que d'être là pour cocher des cases (citer tous les scientifiques possibles, même Feynman qui ne fait rien du film... Ou les personnages féminins qui ont l'air d'être écrit uniquement comme des hystériques).

Ensuite, les explications scientifiques, bien que rares, m'ont sembles très claires, contrairement à Tenet qui pêchait par le manque de clarté de son concept et la volonté d'y rattacher une explication scientifique branlante. Pourtant on sent à chaque fois que ces savants parlent science que c'est Nolan qui s'adresse au spectateur pour bien lui faire comprendre ce dont il s'agit. Autant dans une fiction comme Tenet, la technicité de l'explication (et son côté fumeux) agaçait (l'impression de perdre volontairement le spectateur à grands coups d'entropie et de thermodynamique), autant la simplicité et la naïveté des dialogues ici les rend presque comique. Ils sont l'instrument d'un Nolan pédagogue, nous mettent dans une position d'élève, et évacuent le film...

Enfin, j'avoue avoir eu du mal avec le dispositif narratif. À son niveau de base (alternance de scènes de procès et de flashback), il évoque The Social Network, mais avec une virtuosité d'écriture tellement moindre... J'ai surtout du mal à comprendre l'intérêt de filmer une partie selon le point de vue de Lewis Strauss et l'autre selon le point de vue d'Oppenheimer puisque finalement appart le changement de couleur, il y a assez peu de la déformation et de l'ambiguïté qu'on aurait pu attendre d'une alternance de perspective. Ça ne sert à rien finalement... Alors, Nolan essaiera-t'il un jour de se débarrasser de tout ce superflu et ce bavardage ? Ou réussira-t'il (même si j'en doute) à se donner le moyen de ses ambitions, c'est à dire des moyens de mise en scène et de montage ? -de... cinéma ?

Dr-Parazit
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le 12 sept. 2023

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Dr Parazit

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