👥🍊⚙️👯‍♂️🦯 Fascination <👁️‍🗨️> Fascisation


| Le cinéma de Kubrick est très accessible.

Ce film encore plus que les autres.


Pour 2 raisons essentielles :

  • D'une part, "Orange Mécanique" est Comédie Noire animée par un Malcolm McDowell très drôle. On ne s'y ennuie pas.
  • D'autre part, la forme du film dans ses images, son récit et ses sons, est en permanence en train de nous aguicher, de s'exhiber.

C'est très bien. Le cinéma a besoin de portes d'entrées et le cinéma de Kubrick permet a un œil peu éduqué, ou entrainé, d'identifier ce que c'est que la mise en scène. Je ne parle pas ici de la révélation du plaisir de cinéma, mais bien de saisir que derrière les séquences, il y a des choix maîtrisés sur ce que l'auteur choisit ou non de montrer et, le cas échéant, comment le faire.

Personne n'a jamais découvert le cinéma avec les Straub.


Par contre, quand tu n'as pas hérité d'un capital culturel ciné et que tu te retrouves a 14 ans devant Orange Mécanique ça t'ouvre une porte. De ce point de vue, dans sa catégorie baroque bling bling, Kubrick écrase toujours 50 ans après les Fincher, Gilliam et autres Nolan.



La liberté de penser


Le film n'encourage pas à la violence, tout comme il ne prône pas l'hygiénisme social.


Le film dit peu de choses en réalité et je pense qu'il s'en fout.

Le thème n'est qu'un support adapté pour impressionner.


Un film qui te garde les yeux grands ouverts. Thème filé notamment avec le fameux regard exorbité de Alex torturé ou encore par ces globuleux boutons de manchettes.


Et qui ferme les bouches. Les bouches on les retrouve dans le tableau pop art de la scène du meurtre de la CatLady, dans la mastication des spaghettis, dans les bisous que s'envoient à distance les prisonniers ou encore dans ces bruits de haut le cœur dégueulasse qui soulèvent Alex DeLarge une fois rééduqué. Globalement la bouche c'est dégueulasse dans "Orange Mécanique".


La meilleure des bouches est celle qui est escamotée. C'est cette voix off qui nimbe le film. Posée, omniprésente, fascinante. C'est la voix de Alex délivrée de tout organe buccal. Une voix qui ne flotte pas tant dans l'air qu'elle nous tombe du ciel. En plein dans la gueule.


L'accessibilité du cinéma de Kubrick est directement proportionnelle et corrélée avec son pouvoir incapacitant sur les corps de ses acteurs ou ceux de ses spectateurs.

Paradoxalement, plus il nous mets en situation de handicap, plus il se rend praticable.


Avec le recul je me rends que la voix off finale de "Full Metal Jacket", c'est celle de "Orange Mécanique" en fait. Celle d'un homme détruit puis reconstruit. Celle d'un comédien effacé par son passage dans la machine Kubrickienne.


La Forme et l'Uniforme


Kubrick fait donc un cinéma qui impressionne. Des films qui fonctionnent par fascination.

Cette fascination, c'est une histoire de Forme : des images séductrices et une Bande Son incroyable.


"Orange Mécanique" est un film bâti sur des décors et une direction artistique (costume, design) solides, structurés pour faire des tableaux mis en musique et commentés en voix off.


"Orange Mécanique" serait donc un film de tableaux.

C'est ce qui ressort dès le premier plan du film : un visage figé filmé en gros plans puis la caméra s'anime et subit travelling arrière qui va découvrir l'ensemble du tableau composé. Fait d'un décors et de comédiens figés dans leur pose.

On aura la même figure au casino de Billy Boy. Le premier plan de la séquence est un gros plan fixe sur un détail architectural classique puis zoom arrière qui nous montre les délinquants qui habitent ces ruines.


"Orange Mécanique" serait-il plutôt un film de photo ? N'aurait-il été encore plus puissant en Ban Titre avec sa voix off ? A la manière de "La Jetée" ?


Pour le cinéaste, Le meilleur des corps est celui qui est figé. La statue.

Même quand il danse pendant la scène du viol de Mrs Alexander, Malcolm McDowell ne réalise en fait que 2 poses figées (canne en bas et canne sur la gueule de la nana) séparées par un mouvement sec. On est plus proche du jump cut que du mouvement dans le plan. Le contraste dans cette séquence avec l'utilisation de "Singing in the rain" n'est pas tant la mélodie doucereuse en regard à une situation de violence extrême mais plutôt un contraste entre le mouvement chanté d'une comédie musicale et la paralysie (qui s'actualisera avec des plâtres et des chaises roulantes) d'un film fait d'immobilité et de voix désincarnée.


De cette manière de discipliner les corps et les acteurs par la force de la Forme, découle l'émergence de l'Uni-Forme.


Dans "Orange Mécanique", en totale opposition avec l'usage populaire qui a été fait de ce titre par une extrême droite française ne comprenant décidément pas grand-chose à ce qu'elle regarde, les racailles deviennent des flics.


Le miroir est explicite entre la violence policière et la violence de la délinquance. Non pas tant que l'un entrainerait l'autre, mais plutôt que l'idée de "Police" serait une version adulte et domestiquée de l'idée de "Racaille".

Ce qui permet de faire identité (et non pas lien de cause/conséquence) entre les délinquants et les forces de l'Ordre, c'est que dans les 2 cas ils ont des uniformes.


Tout le monde dans Orange mécanique porte un uniforme

  • Gangs
  • Policiers
  • Prêtres
  • Médecins

Et chacun se trouve piégé dans son rôle. Enfin chacun... Les chacunes plus que les autres quand même.

Aucune femme ne pense dans le film. Elles sont des objets au sens le plus strict. Même la psy a la fin est un automate sans jugement.


Ainsi donc, tous nos personnages vivent dans un Monde non pas de chaos barbare comme on l'entend souvent, mais plutôt un Monde où la violence serait organisée. Où tout est à sa place pour jouer une tragédie absurde et grand-guignol.


Nos Drougs se droguent pour être apte a l'ultraviolence. Il achètent et consomment la came dans un commerce fait pour ça.


Victimes des temps modernes


Si "Orange Mécanique" est une comédie noire, c'est aussi une tragédie.

On entendra souvent au cours du film le Dies Irae, comme dans Shining, hymne apocalyptique certainement le plus populaire.


Cette utilisation du Dies Irae, je la ressens comme étant le strict pendant musical de ce gros plan dans la chambre d'Alex avec les 4 christs dansants sacrifiés (on notera encore une fois le fait de montrer quelque chose qui serait de l'ordre du mouvement, de la danse, de la vie, avec une forme particulièrement figé : un plan fixe d'une statue).

Evidement ce sont les drougs. L'image est un peu ridicule, tout comme cette musique en décalage, parfois dissonante. C'est ça le ton particulier de "Orange Mécanique".

Partager un moment tragiquement drôle avec des victimes de temps modernes.


Kubrick présente effectivement ses personnages comme étant au moins en partie des victimes.

Alex, par exemple, se fait agresser sexuellement par son tuteur qui essaie de le redresser. Depuis enfant il est sous contrôle et victime non pas tant de sa bite de ce que l'on a fait à celle-ci.


Etablir une lien de causalité entre le désir de sexe et le désir de violence , ce que me semble faire le film, est assez bas du front au premier abord mais surtout, ce geste en dit beaucoup sur ceux qui ont écrit cette histoire.

Ils doivent être cringe de ouf au pieu les frères.


On est franchement pas obligé de se sentir concerné par ce pensum rabougri sur l'ordre et la morale.


Mais il reste incontestablement de jolies images et de la belle musique. De la belle ouvrage.


Car le désordre y est bien ordonné.

Il est assez évident que la victime, Alex les yeux exorbités, c'est nous. Tout comme nous nous retrouvons régulièrement dans ces corps engoncés au milieu de la ferraille des fauteuils roulants et lits médicalisés (un vrai fil rouge de la filmographie de Kubrick).


Kubrick ne nous donne pas des images mouvement a penser mais des images fascinantes pour nous éblouir. Nous fasciner comme un animal dans les phares d'une voiture.

Nous figer dans nos sièges pour nous soumettre devant son spectacle .


L'Ordre et la Morale


Alex n'est donc pas du tout un fou incontrôlable. Au contraire il n'a aucune liberté d'action dans le cadre de Kubrick. Il est littéralement figé.

Le travail de Kubrick avec ses comédiens, fait d'épuisements et répétitions, revient à faire de l'automatisation sur des humains.


Un joli théâtre de marionnettes dans un monde qui n'existe pas. Ou rien n'existe hors champ.

Même lors des dialogues (par exemple avec le pasteur en prison, ou sur le lit avec le tuteur), les mouvements semblent calculés, exécutés selon un timing rigoureux, mais dénués de spontanéité authentique. Ainsi, il y a quelque chose de très pervers : Alex n'est pas tant un sujet agissant que l'instrument de la vision de Kubrick. Malcolm McDowell, dans son interprétation remarquable d'Alex, incarne davantage un mannequin qu'un acteur. Il pose pour le photographe Kubrick.


Le film prétend prôner la liberté et l'anarchie, dans les faits il ne se construit que par l'Ordre et la Morale.

Orange mécanique, comme "The Thing" est un film hyper contrôlé sur l'incontrôlable

Cette ironie fondamentale se reflète dans la représentation même d'Alex DeLarge, censé incarner le chaos et la rébellion. Pourtant, au lieu d'exploser le cadre (ce que raconte le film), dès le début, notre délinquant est présenté comme une figure statique, enfermée dans un cadre rigide, condamnée à l'immobilité par la caméra de Kubrick. Même lors de ses déplacements, il demeure figé dans l'image, prisonnier des mouvements de travelling qui le maintiennent captif de la composition visuelle. Même dans le mouvement il n'arrive pas à agir sur le cadre.


Il est la marionnette de Kubrick avant de devenir la marionnette des médecins puis un outil de communication politique engoncé dans un plâtre.

Le bien vient du dedans. Il est le résultat d'un choix. L'homme qui ne peut plus faire ce choix n'est plus un homme.

Kubrick fait des films sur l'homme pris dans les rouages de la machine.


Le fascisme rejoint le fanatisme lorsqu'il convient de conformer un individu a un comportement ou une religion, au détriment de sa foi ou de sa liberté de choix.

Une foi ne s'impose pas. L'empathie et le repentir non plus.


Le gouvernement anglais du film incarne cette menace totalitaire, en manipulant et en contrôlant les individus au nom de la stabilité sociale et du maintien de l'ordre. En transformant les délinquants en agents de police et en lobotomisant les criminels, il instaure un régime où la conformité est privilégiée au détriment de la liberté individuelle. Cette tyrannie déguisée en tranquillité apparente révèle la menace insidieuse du totalitarisme, où le calme est préféré à la paix.


Ça c'est ce que dit le scénario. Le film raconte l'inverse dans ce qu'il est. Sa forme.


On pourra prétendre que c'est justement un effet de contraste.

Il n'en est rien.

Nous, spectateurs, sommes sensés jouir de ces images et de ces musiques. Tout comme le cinéaste savoure le pouvoir de les imposer avec une maîtrise incontestable.


La Forme et le Modèle


On l'a dit, Malcolm McDowell est dans ce film davantage un mannequin qu'un comédien. Un mannequin, on peut aussi appeler ça avec un anglicisme bien pratique : "A Model".


Le cinéma de Kubrick, bien que loué pour sa maîtrise formelle, semble souvent s'inscrire dans un cadre académique plutôt que d'explorer de nouveaux territoires artistiques. En effet, son esthétique impeccable rappelle parfois les standards de la publicité, offrant une vitrine attrayante pour les idées qu'il souhaite véhiculer. On pourrait même considérer ses films comme de véritables coups marketing, Kubrick étant non seulement le réalisateur, mais aussi le concepteur de la promotion et des affiches de ses œuvres.


"Orange Mécanique" semble également résister à une lecture simpliste sur le libre arbitre et le totalitarisme. Plutôt que de présenter Alex comme une victime des mécanismes de pouvoir, le film le glorifie presque en tant que héros, une figure solitaire et rebelle face à l'oppression.

  • Plus courageux que ses parents
  • Plus intelligent que ses potes
  • Plus cultivé que ses bourreaux
  • Plus libre que le ministre
  • Plus jouisseur que le spectateur

Il est surtout un leader.

Des drougs, il est le seul qui peut aussi baiser sans avoir à violer.

Il a le pouvoir d'amener des filles consentantes dans une partie de triolisme.


On l'aime.

Tout au long du film, il est au centre du son et de l'image, il est désiré par ses codétenus, le prêtre ou son tuteur. Par nous.

Si on se repenche sur la question d'un discours qui serait tenu par l'oeuvre, alors Orange mécanique n'est pas un film qui s'érige contre l'ordre, ce serait davantage un plaidoyer pour la victoire de l'élitisme sur la dictature des médiocres.

Mais plutôt que de transmettre un message ou un avis, le film semble davantage préoccupé par la création de séquences visuellement saisissantes, au détriment parfois de la conscience de son propre sujet. Cette approche pourrait laisser penser que Kubrick aurait pu réaliser un film tout aussi spectaculaire sur n'importe quel sujet.



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Filmo de Stanley Kubrick

Dlra_Haou
8
Écrit par

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Créée

le 21 févr. 2024

Critique lue 23 fois

Martin ROMERIO

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