"Est-ce donc un démon qui vous dévore le cœur mon cher Alex ?"
Comment faire une critique de la violence au cinéma ? La solution proposée par « Orange mécanique » ? Faire un des films les plus violents de l’époque, tellement violent que l’on prend le risque de brouiller le message, quitte à faire de la critique un éloge.
Car c’est bien ce qui arrive dans le premier tiers de « Orange mécanique ». Kubrick utilise le procédé qu’il a réitéré plus tard dans « Full metal jacket ». Il décide de partager son film en plusieurs parties distinctes. La première partie de l’œuvre se concentre sur la définition de son héros. On suit une nuit dans le quotidien d’Alex, un jeune homme usant et abusant de la violence comme moyen de distraction. Considéré par certains comme la meilleure partie de « Orange mécanique », ce passage est pourtant celui m’ayant laissé le plus dubitative. Il est tout simplement vide. Difficile de cerner le but d’Alex et de ses amis qui courent partout de méfaits en méfaits, en gueulant comme des perdus. Dans le premier acte, tout semble réuni pour choquer le spectateur : viol, meurtre, violence, religion (la statue dans la chambre du héros). Aujourd’hui, on ne se trouve pas vraiment choqué par les tribulations mêmes du héros, d’autant plus que sa psychologie est survolée.
L’arrestation du jeune homme marque son entrée dans le deuxième grand axe de l’œuvre. Alors que l’on croyait bien connaître Alex, le personnage choque par sa subite docilité envers ses geôliers. On nous montre son incarcération et l’expérience pour laquelle il se porte volontaire, une expérience inhumaine visant à retirer de lui toute pulsion négative. Une expérience visant donc à vider de lui son essence même. Ces passages sont intéressants, on se rapproche substantiellement d’une science-fiction d’anticipation. La méthode utilisée, ainsi que la façon dont elle est mise en scène horrifie autant qu’elle fascine.
Malheureusement, le nouvel Alex, qui sera présenté dans l’ultime acte, ne passionne pas. Sans son comportement brutal -qui aurait pu faire son intérêt s’il avait été davantage exploité-, le personnage ne vaut rien. Réduit à l’état de victime impuissante, il subit les brimades inlassablement. Tant d’apitoiement n’a provoqué aucune empathie de ma part, tant les situations sont grotesques et le personnage insipide. Du coup, les situations dans lesquelles il se retrouve embarqué semblent vaines. Ok, il chante "Singing in the rain" dans le bain de l’homme qu’il a agressé sur cette même rengaine quelques mois plus tôt, mais si ce n’est pour rien faire de plus, à quoi bon ?! Et puis avec ce final, qui n’en est même pas un car il ne résout rien, la boucle est bouclée.
Voilà donc comment l’unique passage intéressant est enveloppé entre deux moments plus que moyens, voilà donc comment « Orange mécanique » est considéré comme un chef d’œuvre, une critique violente de la violence.
A côté de cela, force est de constater que Stanley Kubrick maîtrise l’aspect technique de son métier.
À « Orange mécanique », j’adresse les mêmes reproches qu’à « Full metal jacket » et à « 2001 l’odyssée de l’espace ». Impossible de nier que la caméra de l’homme dévoile certains passages incroyablement réussis. Plus particulièrement, j’ai aimé le long travelling chez le disquaire, le plan à trois en accéléré, les moments où Alex se trouve attaché d’une manière visuellement inoubliable devant un écran de cinéma, etc. Ce sont quelques belles trouvailles qui relègue « Orange mécanique » au rang d’œuvre d’art, et non pas de simple divertissement.
Mais s’il n’y avait que ça, je ne l’aurais pas noté ainsi. Le film présente également de trop nombreux passages qui m’ont semblé interminables : le sermon du prêtre en prison, les retrouvailles avec les parents ainsi que la rencontre avec leur nouveau locataire, Alex découvrant et subissant le nouvel emploi de ses anciens amis, etc. A cause de ces instants qui m’ont paru vides, j’ai décroché. Et finalement, je suis restée imperméable au délire dans sa globalité.
Il convient également de remarquer qu’il y a un bon travail sur les costumes et les décors du film, qui instaurent des ambiances particulières et uniques en un instant. Les musiques choisies par Stanley Kubrick sont étonnantes et plutôt délirantes dans leur contexte.
Quant aux dialogues... Tiens, parlons-en des dialogues. Argotiques, ils m’ont souvent perdu du fait de leur complexité. Il faut s’accrocher si l’on veut tout comprendre des échanges entre les protagonistes. C’est là un choix audacieux, mais aussi bien étrange. En effet, faire parler son principal personnage dans un idiome spécifique peut rebuter, et aussi créer une barrière entre lui et le public. De plus, cela ne colle pas à l’ambiance du film, Alex étant le seul à s’exprimer de la sorte de façon aussi marquante. Alors à l’auteur du roman originel j’aurais aimé demander : pourquoi ce choix ? En quoi sert-il l’œuvre et la définition de son héros ?
Voilà, encore une fois, « Orange mécanique » est une œuvre du grand Kubrick qui me déçoit. Encore une fois, le fait que le film soit partagé en plusieurs segments pousse le spectateur à les voir individuellement, et non comme un tout cohérent, et donc à les comparer entre elles. Encore une fois, le héros kubrickien ne provoque aucun attachement, mais surtout de l’incompréhension.
Donc encore une fois, je suis une vieille fille difficile qui ne sait pas reconnaître les chefs d’œuvres quand elle en voit.