Dans le top des tournages les plus compliqués, on pourrait sans sourciller citer cette adaptation de « Othello », signée Orson Welles. La production s’est en effet étalée sur plusieurs années, obligeant le réalisateur à tourner par morceaux, et à enchaîner les financements successifs… dont ses propres cachets d’acteur obtenus parallèlement sur d’autres films...
Welles dut aussi se montrer ingénieux, car au-delà de retravailler la pièce pour qu’elle tienne en 1h30 au cinéma, il modifia des scènes pour accommoder les limites de la logistique. Avec la célèbre anecdote de la scène des bains, tournée telle quelle car les costumes n’étaient à ce moment plus disponibles !
Et pourtant, ce bricolage dans la production n’est aucunement visible à l’écran. « Othello » semble être une œuvre maîtrisée de bout en bout. Mais s’il n’a rien d’un film malade, c’est bien un film de dingue ! Welles retranscrit à merveille ce récit autour d’un Maure vénitien qui déclenche une succession de péripéties en épousant secrètement la fille d’une figure locale. Tout le monde lui envie sa situation. Et, ironie du sort, son second, Iago, parviendra à planter dans cet homme qui a tout ce qu’il désire les germes de la jalousie.
L’envie et les bassesses seront donc au cœur du film, qui regorge d’images marquantes. Des plans débullés et des contre-plongées baroque dans des intérieurs labyrinthiques de forteresses, des jeux d’ombres déments, des personnages écrasés par des décors réels, de véritables tableaux créés grâce aux différents niveaux de murailles et chemins fortifiés… Avec en prime un montage très vif, qui explose par moment en mélangeant brutalement cette galerie de personnages sinistres ou naïfs.
Le tout servant de bases à des dialogues shakespeariens dramatiques à souhait. A ce niveau, Orson Welles (dont le grimage en maure serait totalement politiquement incorrect aujourd’hui !) se montre moins grandiloquent qu’à l’habitude. Néanmoins l’acteur réalisateur garde sa voix caverneuse et marque dans le rôle-titre. Il est toutefois dommage que le « vrai » protagoniste du film, l’infâme Iago, soit joué par un Micheál Mac Liammóir assez terne. On aurait presque préféré que Welles incarne ce rôle… De même pour Desdemona, incarnée par une Suzanne Cloutier en retrait.