Un court-métrage est une réduction après dilution, une essence de parfum d’idée et doit se penser comme telle. C’est pourquoi il est toujours très intéressant de regarder le court-métrage parent, lorsqu’un réalisateur décide de développer son idée première dans la forme longue conventionnelle. Le format resserré implique une réalisation partiale, faisant l’intelligente discrimination des procédés et des volontés diégétiques. On cherche à toucher brillamment la sève du propos. On cherche une image plus qu’un long discours. Une esthétique. On cherche une température. C’est pourquoi, la rigueur de la forme-même implique des sacrifices. Il n’est pas question de tuer à tout va, il est question de choisir la bonne bête, de faire bouillir sa méthode pour trouver le meilleur goût.
Emilie Muller pour l’exemple, par d’une volonté simple et sans divulgâcher ce chef d’œuvre, s’oblige et se contraint à une réalisation en plan fixe et c’est cette même réalisation qui couronne l’ensemble. Elle sert le propos, l’actrice, et permet la naissance de l’intention. Autrement, La Jetée ne peut marier le budget à ses ambitions. Alors, constricté par la règle, et forcé par le sacrifice et le deuil de l’infinité des méthodes, le roman photo sert l’ensemble et le court, l’ayant absorbé, prend nouvelle forme sans jamais se trahir. Souvent, le problème des courts moyens, ou franchement mauvais, est ce qu’il a subsisté de cette épuration. Des choix narratifs, visuels ou de montage ont été faits et leur emploi a tapé près de l’idée, jamais sur elle. Le court est perdu, court-circuité.
Court-Bouillon
En 2023 j’ai eu l’opportunité de lier deux courts-parents à leurs longs voire très longs-enfants. J’ai donc découvert à quel point cette relation est intéressante. Vous goûtez en entrée au bouillon de bœuf, complexe, concentré, presque caramélisé et passez au plat, pour lequel ce bouillon a dûment été employé. Comme si le chef était parti du bouillon et avait ajouté ses légumes peu à peu et bien choisis, quand son budget courses était assez large pour développer sa recette. Tout part d’un goût et c’est ce qui vous reste sur la langue quand vous respirez dans votre serviette. Deux bouillons donc et deux plats :
- Bouillon : Beau(2011). Ari Aster sort son premier court-métrage en 2011 et déploie 7 minutes de syndrome de la cabane, de scélérophobie épileptique. La réalisation est décadrée et le fantastique monstrueux symbolisme de son style est déjà bien sentie.
- Curry thaï massaman : Beau Is Afraid (2023). Ari Aster développe sa recette en faisant enfler le foie de son bébé d’un lait maternel castrateur, anoxique et va chercher les racines de ce mal, de cette angoisse du chez-soi que l’on viole, dans les jupes de sa mère. La transformation est vraiment réussie à mon sens. Les amateurs auront retrouvé avec joie la bobine de fil dentaire déjà présente dans le premier, l’agressivité des voisins et tout autant de symboles hérités qui prenant sens dans l’excellente première partie du second finissent de servir correctement les qualités incontestables de ce film. On charge d’épices, de couleurs et l’on mélange, c’est relevé, c’est délicieux.
- Bouillon : Palm Trees and Powerlines(2018). Jamie Dack sort son premier court métrage dans une lumière de soie, sans moiteur, ni vraie chaleur, dans un été de salle d’attente. Une jeune fille, éthérée dans un baguenaudage contraint, fait une rencontre et tombe, on suppose amoureuse, comme on se griffe les genoux, d’un garçon plus vieux et bien lâche – qu’on finit inévitablement par rappeler. L’esthétique y est très intéressante et c’est tout le sel de ce projet. La réalisation en chilienne appuie la photographie et le bouillon a du goût.
- Soupe aux restes de potatoes : Palm Trees and Powerlines (2023). Après le premier court-métrage, Jamie Dack fait son premier film. Et là, comme un ressort que l’on tire, qui fait passer de plus en plus de vide autour et qui ne reprend plus sa forme, l’esthétique originelle est diluée dans un litre d’eau chaude. Les acteurs sont changés mais les motifs restent. On sent que le réalisateur est attaché à ses idées et à ses lignes. Cependant, une esthétique ne fait pas toujours un film – quoi que certains chefs cinématiques y soient déjà parvenu. Alors le film essaie de se combler et donne à son scénario les usuelles astuces de peine et de morale. On anticipe tout déjà et c’est fort dommage. Bien-sûr la technique est bonne, la réalisation est toujours aussi soignée et l’on sait la fidélité au propos initial. Le travail souffre simplement d’être passé du mouchoir à la nappe. D’avoir augmenté son volume sans sa contenance et l’on passe à côté de sa faim.
Chacun de ses deux plats entretient une relation différente avec le bouillon qui le lie. Sans comparer les deux films entre eux et tout en restant sur ce délicat rapport, l’un l’agrémente et l’autre le délie. Il faut Savoy que l’exercice n’est Point facile, mais il y a tant à Gagnaire. Quand le film, long et noble transcende les limitations du court-métrage, le dépasse, Sarran l’expérience unique c’est un délice, on Antonbe à la renverse. Alors on se demande Le Quellece cet ingrédient mystère, qui nous Piège, qui nous Pic. C’est parce qu’il est amateur de cinéma que le spectateur sait qu’il est bon de cuire dans la cuisine des autres. Au cinéma, la faim, la soif ne tarit pas car manger du cinéma fait grossir l’envie d’y retourner.
C’est pourquoi j’attends patiemment toute nouvelle création de ce prometteur Jamie Dack, et bien que je n’aie pas été séduit sur ce coup d’essai, j’ai réservé ma table pour son coup de maître. (5,5/10)