Parole de Kamikaze part d’une idée simple difficilement réalisable. Retranscrire les paroles d’un kamikaze. Retranscrire les paroles d’un homme qui ne devrait plus être là pour les prononcer. A une époque où le mot kamikaze est entré dans le langage courant et associé aux terroristes et à leurs ceintures d’explosifs, Masa Sawada revient sur une période douloureuse de l’histoire japonaise grâce aux paroles de Fujio Hayashi, dernier pilote Kamikaze de l’époque toujours en vie.
Aucune contextualisation, aucune image d’archive, aucune reconstitution, Parole de Kamikaze c’est le portrait d’un homme. Un homme qui s’est porté volontaire pour mourir mais qui a envoyé des jeunes hommes vers la mort à la place. Un homme qui s’est programmé une mort qui n’est jamais venue. Un homme témoin et acteur de la folle absurdité d’une époque.
1944, Fujio Hayashi à 21 ans. Il se porte volontaire pour rejoindre un escadron suicide, pour se faire sauter dans le cockpit d’un appareil sans moteur largué avec bombe et pilote sur l’ennemi. Une bombe pilotable nommé Okha, feuille de cerisier en Japonais. Un beau nom pour un triste appareil de la mort. Mais le grand saut, il ne le fera jamais. Il enverra d’autres jeunes hommes le faire à sa place. Il exécute et donne les ordres. Il dirige.
Veille homme minces et discret, toujours les mains dans les poches, il ne quitte jamais l’écran. Une succession de plan fixe, rivés sur son visage, dans un parc et dans de grandes salles vides avec bureaux pour seul mobilier. Les angles des questions varient en même temps que ceux de la caméra. S’il aborde les motivations d’un homme qui se transforme en bombe humaine, le documentaire cherche surtout à transmettre son ressenti. Son ressenti quand il s’est engagé, son ressenti pendant qu’il entraînait puis envoyait des jeunes gens, parfois ces amis, se tuer, son ressenti une fois la guerre finie, son ressenti 70 ans plus tard. Le ressenti d’un homme qui a vécu l’invivable et l’expression d’une culture du sacrifice ou tout appartenait à un empereur absolu, jusqu’à la vie des hommes.
L’histoire d’un homme
Certain reprocheront le manque de contextualisation, de rappels, de faits, de chiffres qui permettrais de mieux cerner le phénomène des escouades suicide de l’armée Japonaise. Au contraire, son extrême sobriété, sa simplicité frontale et la présence permanente de Fujio Hayashi à l’écran décuple la puissance froide et l’impact de son témoignage. Si son discours est historique, il est avant tout personnel. Tout le documentaire porte sur l’homme et ses propos marquant, seulement entrecoupés de longs silences qui en disent plus que n’importe quelle image, que n’importe quel chiffre. Et l’absurdité tragique de cette stratégie militaire s’en ressent d’autant plus. En revanche, Masa Sawada livre un documentaire peut-être un peu trop modeste, qui ne va pas assez loin, qui ne creuse pas assez, qui ne fait qu’aborder des sujets qui auraient mérité plus d’approfondissements.
Alors que l’on a les yeux rivés sur cet homme, qui nous raconte comment il s’est porté volontaire pour mourir, puis comment il a envoyé d’autres hommes se faire sauter, on entend parfois derrière le bruit du vent souffler, de l’eau ruisseler et on voit parfois en arrière-plan des gens se promener, des enfants jouer et on se demande comment la vie peut continuer autour de lui pendant qu’il nous livre son histoire. Comment sa vie a pu continuer après ce qu’il a vécu.
Puis on se souvient de cet homme qui se tait et lève les yeux, quand il entend un avion passer.