Une agence de publicité. Les pouvoirs de la hiérarchie. Deux femmes. Puis trois. La séduction. Le rejet. L'humiliation. Voilà un roman de la collection Harlequin. Ou un film de Brian De Palma.
Le début de Passion rappelle une vieille publicité parodiée par Les Nuls : un mannequin (Cindy Crawford ?) dirige une réunion, distribue des feuilles blanches, bouge sa chevelure, est ovationnée. Pendant toute la première partie du film, on en est là. On ne croit pas une seconde à cette agence, à sa directrice, sa chef de pub, la campagne menée. Les ordinateurs sont de marque Apple, le smartphone dont on accompagne le lancement, un Panasonic. On est à Berlin dans des bureaux high-tech, une maison immense. On porte de belles robes, on roule en Audi. Les femmes sont fascinantes, les hommes inexistants. Le seul qui nous est donné à voir est repoussant, falot, ridicule.
On se demande où De Palma nous mène. Le monde qu'il nous peint est factice. Son monde est factice. Tout cela n'existe pas. Ce qu'on ne sait pas encore, c'est que le film agit sur nous comme une drogue lente. Injectée dans nos veines, elle remonte lentement vers le cœur. De chaque veine vers le cœur. De chaque image vers le cœur. On comprendra que rien n'est inutile. De Palma construit sa toile.
L'image tourne au bleu. La caméra se désaxe. La lumière passe par des stores invisibles. S'ensuivent quelques scènes époustouflantes : Isabelle qui pète les plombs dans le parking, puis Christine l'humiliant en public, d'autres encore. À partir de là, le film vacille et s'emballe. La drogue atteint le cœur. Longtemps sur nos gardes, craignant le pire, on sait alors que De Palma a gagné la partie. Peu importe qu'il convoque ses vieilles obsessions, peu importe le film de Corneau dont il s'inspire (et dont on sait, rien qu'à regarder la bande annonce, qu'il est mille pieds dessous), peu importent les maîtres singés ou magnifiés, De Palma impose sa vision, son point de vue, sa mise en scène. Ses fantasmes deviennent nôtres. On se laisse porter. C'est grisant.
Le trio McAdams-Rapace-Herfurth fonctionne à merveille. La brune brouille sans cesse les pistes, la blonde explose en salope magnifique, tandis que la rousse relance la danse. Elles sont toutes trois excellentes.
Le film reste improbable de bout en bout mais on s'en moque. La tragi-comédie se déploie telle une fleur qui s'ouvre, prenant tout l'espace. De Palma est maître en son théâtre. Arrive alors LE split-screen, mouvant, fantomatique, fascinant. Le jeu se fait sur son axe, sur le son qu'on ouvre et qu'on ferme, les grosseurs de plans. Le meurtre, l'interrogatoire, les revirements multiples... le final n'en finit pas alors de nous troubler les sens, accumulant rêves et scènes impossibles jusqu'au plan ultime. Du grand art.