J'aurais juste envie d'écrire : "P******, qu'est-ce que c'est beau."
Mais ce serait un peu facile et un peu convenu, c'est pourquoi je vais développer un peu cet axe de départ. Par quoi commencer ?


Par le charme incandescent, la douceur des images de Jim Jarmusch dont le sens esthétique, la photographie merveilleuse ne sont plus vraiment à prouver. Pourtant, Paterson n'a pas grand chose à voir avec Only lovers left alive, du même réalisateur : on y retrouve certes un couple central magnifié, une très belle mise en scène et en lumière mais la tonalité est très différente, tout comme les sujets abordés.


Nous suivons ici, sur une semaine complète, le couple formé par Paterson et Laura, des Américains vivant dans la ville de Paterson, New Jersey (berceau, nous l'apprendrons plus tard, de grands poètes et écrivains, comme s'il y avait un supplément d'âme dans l'air de cette ville, un déterminisme du lieu, quelque chose d'inspirant littérairement) - cette redondance entre le prénom du héros, conducteur d'un bus estampillé Paterson et le nom de la ville a déjà quelque chose de comique, de décalé qui est immédiatement séduisant.


Adam Driver est tout simplement magistral dans ce rôle de chauffeur de bus au quotidien banal et routinier, poète à ses heures perdues - attentif et observant toutes les petites histoires autour de lui, ces vies minuscules qui s'agitent et nourrissent ses vers - dont la vie pourrait se résumer à sa phrase : No complaints.


Toutes les journées de Paterson s'organisent de la même manière et semblent se ressembler et pourtant, grâce à sa faculté à capturer le quotidien, à s'émerveiller de chaque rencontre, à savoir lire les signes qui se présentent (les jumelles, les chutes d'eau) et à les coucher dans son secret notebook, c'est l'univers entier qui s'ouvre à lui et prend une dimension romanesque.


J'ai particulièrement aimé les passages poétiques et les échos qui sont faits aux grands noms de ce genre : Pétrarque (et sa muse Laura, comme le personnage joué par la sublime et pétillante Golshifteh Farahani), Emily Dickinson, William Carlos Williams. Le monde soudain devient le lieu de toutes les synchronicités littéraires, une chambre d'échos romanesques : le couple qui se déchire dans le bar est comparé à Roméo et Juliette, les chutes d'eau du poème se retrouvent sur le mur.. Tout cela est à rapprocher du surréalisme qui, selon Breton, demandait à ce que nous soyons disponibles aux signes que nous présente le monde afin de mieux le lire et le comprendre.


Le couple Laura/Paterson semble vivre en poésie, elle aime ce qu'il écrit, lui reste humble et doux, il lui lit les passages qu'elle aime, ils s'encouragent mutuellement. J'ai trouvé cette histoire d'amour d'une beauté et d'une douceur incroyables. Ils sont tous deux très artistes et passionnés, et paraissent comblés par leur existence, même s'ils l'expriment différemment (elle l'expansive via sa peinture, ses cupcakes et sa guitare, lui plus introverti, par ses notes poétiques). Élément d'humour supplémentaire : le chien, qui est un personnage à part entière et donne lieu à des passages loufoques très réussis. (et un, un peu plus tragique)


Paterson est un héros discret et modeste qui trouve sa joie et son inspiration dans les couleurs de chaque jour, dans ce bar qu'il rejoint chaque soir, dans ses amis piliers de comptoir si attachants, dans cette Laura fantasque et ses secret pies, jamais rassasiée des potentialités de la vie et si admirative de son talent.


La dernière scène, sur le banc avec le poète japonais, est magnifique car elle ouvre tous les possibles, engage à l'optimisme, aux conversations imprévues - avec cette image du carnet vierge qu'il faudra remplir pour faire oeuvre ou juste pour passer le temps.


Les lignes du poème, comme autant de façons de fixer l'existence qui s'écoule telle une cascade.


Un film d'une élégance, d'une humilité et d'une poésie folles - pour moi, une merveille absolue de tendresse et d'humanité.

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le 5 mars 2018

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