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Avec le personnage de Bella Baxton, Yórgos Lánthimos nous propose une fable féministe qui dynamise par l'absurde les clichés de l'inné et de l'acquis. Par le truchement d'un scientifique brillant, difforme et sans scrupules, Bella est un nouveau-né dans un corps d'adulte. Possédant ainsi toutes les facultés motrices, intellectuelles et langagières dès le départ, elle est dispensée de longues années d'apprentissage et donc de conditionnement et de conformisme aux normes sociales liées à son époque, à son statut et à son genre.

Avide de découverte, de son corps comme du monde qui l'entoure, elle traverse l'Europe, grandissant petit à petit, s'échappant encore et toujours à l'emprise des hommes qui cherchent à la posséder. Car si Bella ressemble à une poupée, son absence de conditionnement lui fait questionner le rôle censé être le sien, les normes de bienséance et les rapports de domination, le tabou du sexe et du désir féminin comme l'étrangeté du sentiment amoureux. Le film reprend donc à sa manière le mythe de Candide, avec ce rapport d'étonnement face à des codes calcifiés et des normes régies par l'argent, le statut social, le genre et la beauté. Le propos fonctionne d'autant mieux qu'ayant grandi en accéléré, Bella n'a pas de préjugés sur le Beau ou le Bien et cherche sans cesse à comprendre plutôt qu'à suivre.

Les différents parallèles de Pauvres Créatures avec ce qu'aurait pu (ou dû) être Barbie sont cités un peu partout et on pourrait effectivement dire que ce film répond plus intelligemment et créativement au thème de la femme objet et de son émancipation. L'usage de l'absurde comme du brouillage des époques permet ici d’interroger ce thème de manière intemporelle (enfin tout de même occidento-centré). Sa cinématographie et son style visuel marqués évoluent au même rythme que Bella. C'est tout d'abord un noir et blanc et un usage répété des caméras décalées et du fisheye dans ses premiers instants de vie sous la coupe des deux scientifiques ; puis ce sont des couleurs bariolées, claires et saturées pour son enfance à Lisbonne ; ces couleurs s'assombrissent et se densifient de manière crépusculaire lors de sa croisière adolescente ; dans un Paris de la Belle époque les couleurs se font plus ternes et plus bleues alors que Bella effectue une forme de passage à l'âge adulte ; puis enfin les couleurs reviennent presque au réel lorsqu'elle revient au domicile « familial ». L'esthétique du film est pensée dans ses moindres détails, avec des costumes et des décors de conte, sublimes et étranges. L'humour est savamment distillé, faisant mouche de manière inattendu. C’est justement parce que le film est pour moi un véritable objet de cinéma, qui explore différentes facettes de son medium pour mieux raconter son histoire, que j’ai trouvé le film captivant. C’est sûre certains passages frôlent le kitsch et ne sont pas visuellement plaisants, mais ils s’inscrivent dans une pensée générale de l’objet filmique.

En plus de cette esthétique vibrante, le film est servi par d'excellentes interprétations. En premier Emma Stone qui irradie le film, mais également une galerie plus ou moins grotesque et sublime de personnages qui interroge chacun à leur manière le sens du « normal » et du « convenable ». Les pauvres créatures sont ici les hommes, piégés dans leurs normes et leurs affects, là où Bella est libre et émancipée, maîtresse de son destin. Le film explore ainsi habilement sur le fond comme sur la forme les rapports humains et la condition des femmes.

Créée

le 10 févr. 2024

Critique lue 16 fois

Alice Perron

Écrit par

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