Il est toujours difficile de regarder un film qui prone des idées complètement opposées aux siennes, et c'est encore plus énervant quand c'est fait de façon brillante parce que oui, Poor Things est un très bon film que je recommande, son visionnage n'est pas facile et dans le climat actuel, qu'un film aussi ambitieux sorte est plutôt bon signe.
Les décors, le jeu des acteurs, les pages entre les chapitres vertigineuses, c'est un film monstre qui est proposé en s'appuyant sur le récit initiatique de Bella Baxter, tirant son inspiration de Frankenstein mais aussi d'un roman que je n'ai évidemment pas lu.
Les thèmes abordés sont multiples, touchant à la fois au récit initiatique et à toute la question de l'identité et de la filiation, mais aussi et surtout à la question féminine, sans prendre aucun gants, à savoir d'abord celle de la répression de la sexualité, celle de la prostitution, des violences conjugales et de l'excision, entre autres.
Je vais SPOILER tout le film donc voilà, âmes sensibles s'abstenir.
Et c'est ici que je vais probablement apporter mes plus gros reproches. Je l'ai dit et je le répète, le film et très bon. Et je n'entends pas dire simplement de façon ultra prétentieuse "Lanthimos j'ai raison et tu dis n'importe quoi", mais quelques éléments sont assez problématiques.
Tout d'abord je n'ai aucun soucis avec le fait de mettre un enfant dans le corps d'une femme adulte et lui faire vivre des intenses péripéties sexuelles, bien qu'un peu étrange, vive la liberté et dieu merci certains films osent déranger, non, mon gros soucis est assez justement le manque d'évolution de Bella par rapport à ce qu'elle subit.
Entre un lourdaud lubrique qui lui touchera sa chatte dans les 3 premières secondes sans même prévenir, puis l'expérience qu'aura Bella de la prostitution, il ne sera jamais question de la mise au pas du corps féminin par les hommes. Cette question étant réglée à condition de, je cite, répondre à deux trois questions et laisser à la prostituée un chouilla d'agency (comprendre un petit peu de marge).
Après tout, se faire pénétrer par des hommes qui payent pour avoir accès à ton corps ce n'est pas dégradant tant que tu choisis ton client, et on peut même aller plus loin et dire que c'est socialiste, féministe, et que le corps féminin n'est rien de plus qu'un moyen de production.
Ce traitement de la prostitution, de façon parfaitement légère et néolibérale, est aussi typiquement masculine, alors que la pauvreté, vertigineuse, de l'arc avant était elle parfaitement mise en évidence, au même titre que l'était la réaction naïve de Bella.
Je dois quand même avouer que le point soulevé est très bien amené, la dissociation du corps et de l'esprit ne pouvait pas mieux être incarnée que par Bella, cerveau étranger dans le corps de sa mère, franchement bravo, je ne suis pas du tout d'accord avec vous Monsieur mais vous êtes fort.
Cependant, cette vision quasi paradisiaque de la prostitution dans un bordel glauque des années 1800 détruit certains point du film. Comment considérer les états d'âmes de Bella devant la misère et les bébés qui meurent si celle ci est incapable de réaliser la violence du monde de la prostitution, après tout, les pauvresses n'ont qu'à baiser dans un bordel, ça leur fera un peu d'argent.
Cette glorification de la prostitution dénaturera aussi la plupart des interactions de Bella avec les autres personnages: "Je suis une prostituée et si tu es contre, tu es l'incarnation du patriarcat, ce que ne sont pas du tout les clients qui emmènent leurs propres enfants pour me baiser", après, bon, le personnage de Duncan est suffisamment détestable donc why not.
Ce passage à Paris sera suivi par un retour aux origines, un peu en dessous du reste (comme le personnage de Max qui est tellement miiiid), même si j'apprécie énormément la phrase "Je crains un soulèvement du personnel", qui s'enchainera avec une résolution tout aussi moralement ambiguë.
Bella veut le bien sur terre et va donc devenir médecin, et vu que c'est vraiment une sainte elle va non seulement tuer son mari d'une vie antérieure (je n'ai aucun problème avec ça), mais aussi souiller son corps (je trouve ça limite mais c'est peut être ma morale chrétienne qui s'exprime).
Pour un film sur la recherche de soi, l'apprentissage de la sexualité est, j'ai trouvé, particulièrement limité. Cette idée que coucher avec quelqu'un, et d'autant plus un "client", peut être fait en un claquement de doigt sans conséquences, est un fantasme masculin. Dans un film qui prone l'émancipation par une certaine idée de la libération sexuelle, le sexe pratiqué est particulièrement conservateur, et si nous avons droit au corps de Bella nu à l'écran la moitié du film, nous verrons à peine un téton de la part de Duncan, et quasiment toutes ses expériences sexuelles seront passives, à comprendre comme imposée par les hommes, à l'exception de ces 10 secondes entre elle et Félicity.
Les retrouvailles avec Max, qui est pourtant tout autant horrible que les autres, voulant la marier sans son accord, échouent d'autant plus.
Bref ce que je reproche à Poor Things, c'est que l'apprentissage par les livres et l'expérience de Bella mène à une vision du monde qui n'est pas la mienne, et qui je pense, n'aurait pas du être la sienne.