Une ouverture mystérieuse marque dès le début le ton du film : un suicide au ralenti, aux couleurs vives, une femme en robe bouffante bleue électrique sautant d’un pont. Avec une bande son opprimante, voila une première claque.
Après qu’elle ait mis fin à ses jours, « God » un scientifique défiguré au cœur chaleureux, la ramène à ses sens par galvanisme et un transplant de cerveau, celui d’un nourrisson. Bella Baxter naît, elle recommence sa vie, page blanche.
Les personnages explorent diverses philosophies, allant du stoïcisme à l'absurdisme. Bella Baxter, en tant qu'être imprégné, devient le prisme par lequel nous découvrons l'humanité à travers ces différentes perspectives. Cette exploration rappelle à juste titre l’histoire de Frankenstein, par la naissance de Bella et des questions morales sur la vie et la mort soulevées de manière percutante.
Le corps adulte de la femme est donc dirigé par le cerveau d'un bébé, ce qui fait d’elle une réelle créature burlesque. Contrairement a ce que l’on pourrait croire, malgré sa demarche instable et elocution quelque peu structurée, elle ne perturbe pas tant que ça son entourage déjà déformé par des prises de vue distordues, une architecture et une temporalité onirique. Les personnages secondaires tels que Harry et Martha ne semblent pas être perturbés par sa franchise naturelle et l’admirent même. Bella reussit à naviguer ses entourages en grapillant des savoirs societaux en toute candeur et innocence presque sans perturbations.
"Pauvres Créatures" se distingue ainsi par son analyse approfondie de la morale humaine, mettant en scène des personnages tels que God, Max, Bella, et Duncan. Chacun de ces personnages apporte une dimension unique à l'histoire ; un scientifique bienveillant loufoque, un apprenti doux et curieux, une « créature » attachante et un avocat séducteur pathétique offrent des éclairages divers sur la condition humaine et la complexité de nos choix moraux.
Il est aussi question d’une découverte sexuelle pour notre Bella, le film s’attarde sur ce plaisir, qui contribuera a son épanouissement et émancipation. L’épisode de la maison close à Paris la fait apprendre plus sur sa condition en tant que femme et les réelles limites de son libre arbitre.
L'un des aspects les plus marquants de ce film est la temporalité incertaine dans laquelle il nous plonge, un simili 18e siècle lors de la révolution industrielle. La photographie du film est imprégnée de rétrofuturisme, se déroulant dans une époque antérieure où les tramways volants ont leur place. Pendant près de 2h30, le film offre un spectacle visuel captivant. L'univers créé par les équipes de production est d'une richesse étourdissante, incitant à une exploration répétée. En suivant le parcours de cette jeune femme ramenée à la vie par un scientifique fantasque, "Pauvres Créatures" se donne la liberté de nous dévoiler des créations organiques spéciales et des salles d'opération lugubres. Lanthimos réussit à tisser une trame temporelle qui transcende les époques et les esthétiques, créant ainsi un univers fascinant et immersif.
Enfin, le casting d'exception et varié est l'une des forces majeures du film. Chaque acteur incarne son personnage avec une intensité remarquable, contribuant à rendre l'expérience cinématographique encore plus immersive. Emma Stone nous offre ici une de ses meilleures prestations qui lui a valu un Golden Globe (pourrait elle viser un deuxième oscar?). Captivante et remarquablement juste, Emma Stone s’est pleinement investie. Avec le personnage de Bella Baxter, une femme qui s’émancipe et se découvre, l’actrice sort de son univers de comédie romantique et se dévoile face a nous, réinventée, nous présentant une performance jamais vue chez elle. Cependant, l'actrice peut se fier à la présence de Mark Ruffalo et Willem Dafoe pour illuminer le film. Les deux comédiens excellent, et Emma Stone réussit à leur accorder amplement d'espace. Mark Ruffalo, incarnant Duncan Wedderburn, offre une performance pathétique hilarante, tandis que Willem Dafoe semble taillé sur mesure pour ce rôle de scientifique excentrique et bienveillant.
Yorgos Lanthimos continue de se distinguer en tant que maître de la création cinématographique originale et provocante.