Voir le film

Certes, ça faisait déjà un petit temps que je pensais écrire sur les films que je regarde (mais j'avoue la flemme de gérer un livre). Parce que des étoiles sur Allociné c'est bien mais parfois juste cette appréciation comme "souvenir" du film, c'est un peu court...

Puis est arrivé ce film-ci...

Le genre de film dont j'ai en général besoin de parler...

Je connaissais déjà Yorgos Lanthimos pour l'avoir découvert avec l'étrange The Lobster puis avec le particulier La Favorite (déjà avec Emma Stone). Je sais que le réalisateur grec a une patte plus que particulière, frisant le bizarre mais c'est justement le genre de réalisateur qui me donne envie d'au moins jeter un coup d'œil à l'ensemble de sa filmographie (composée de moins de 10 films jusqu'ici, c'est jouable!). Donc contrairement à certaines personnes qui ont du le découvrir avec ce film-ci (premier film avec une aussi "grosse production"), je savais où je mettais les pieds. J'ai volontairement attaqué ce film avec le moins d'infos possible. Par contre, je n'ose imaginer les personnes qui ont été le voir "sans trop savoir" ou qui s'attendaient à une simple "relecture de Frankenstein" ou un film historique.

J'ai même du mal à savoir par quel côté le prendre pour en parler...

Max McCandless, un jeune étudiant en médecine est invité par son professeur, le peu orthodoxe Dr Godwin Baxter, à venir effectuer pour lui un travail qui lui tient à cœur : observer et relever les progrès faits par un être particulier qu'il abrite chez lui : Bella. Bella est une jeune femme au comportement enfantin, vivant sous la protection du Dr Godwin Baxter, et dont le passé et l'origine comportent un secret que Max va très vite percer à jour. Mais Bella progresse vite et a soif d’apprendre, elle veut découvrir le monde dont elle ignore tout.

Vu comme ça, le pitch de départ pourrait sembler un peu "conventionnel" dans son fond (découverte du monde par un être naïf) et un peu perché dans sa forme malgré tout. Je vous l'accorde, difficile de ne pas songer à plusieurs références :

Candide dans l'œil ingénu et dépourvu d'apriori que porte Bella sur le monde qu'elle découvre en toute innocence.

Difficile de ne pas penser à un "Frankenstein inversé" en voyant le lien et les "physiques" de Bella (créature belle et regardée de tous) et du Dr Godwin Baxter (créateur défiguré et laid).

C'est pourtant bien plus complexe que ça.

En effet, on est bien loin de quelque chose de "déjà-vu" (même pour du Yorgos Lanthimos) ! En tout cas, pas pour ma part...

Le film bien que Fantastique (voire SF pour le côté Frankenstein) dans sa forme globale, est teinté d'humour grinçant (je comprendrais presque qu'il puisse être vu pour ainsi dire comme une comédie), avec des dialogues taillés et des répliques cinglantes, mais est également engagé dans son/ses messages (mais j'y reviendrai) toute en surfant sur la vague du conte philosophique. Un joli petit classement de "cul entre plein de chaises".

(D'ailleurs je profite de ce jeu de mot involontaire pour signaler que si vous n'êtes pas à l'aise avec les scènes de sexe, le film en contient un nombre certain, soyez-en prévenus)

Chaque aventure de l'odyssée de Bella devient donc l'occasion d'aborder nombre de sujets et de réflexions : la beauté, la naïveté/innocence, le sexe, l'égalité homme-femme, le féminisme, le lien création-créateur, l’émancipation, la définition d'amour et de relation, la remise en question, les codes sociaux, la possession/possessivité... Un voyage aussi bien extérieur qu’intérieur pour Bella puisqu'au fur et à mesure du film, celle-ci ne cesse d'interroger, d'apprendre, de comprendre, de cerner, de mettre en branle le monde qui l'entoure sans jamais le subir. Elle reste continuellement dans l'interrogation des tabous et conventions imposés par les hommes et ne cesse de relever leurs non-sens. Ce voyage intérieur de Bella c'est celui de l'émancipation, celle d'une femme qui décide de ne pas se limiter aux réponses qu’on lui donne et ainsi d’apprendre par l’expérience.

D’ailleurs, élément intéressant, Yorgos Lanthimos, au-delà de proposer quantité d’idées de mise en scène « bien à lui » (au point que j’ai parfois eu du mal à le suivre par instants, notamment ces passages en « vue d’un judas » ou encore cet effet noir et blanc recoloré) et ses hommages (le noir et blanc des « vieux films de monstre »), amène ici des suggestions pour porter un autre regard sur plusieurs sujets, entre autre sur le sexe, notamment comme un moyen d’émancipation, là où le Hollywood actuel soit ne veut pas le voir, soit le voit comme un acte presque usuel.

Mais tout ça ne pourrait pas fonctionner si l’évolution de Bella n’était pas crédible, car cette progression est le fil conducteur de ce film. Celle-ci est à la fois logique et constante. Or, toute caricature de comportement, tout effet de progression « par marches », toute impression de « rechute », même légère aurait fait de toutes ces intentions un fiasco. Mais bien plus encore, chaque pas de cette émancipation n’est rendu possible que parce que le comportement de départ de celle-ci nous plonge déjà dans une forme de suspension d’incrédulité (malgré ce que peut laisser paraitre son secret au premier abord). Je ne sais pas combien d’heure Emma Stone a passée à observer des comportements d’enfants, ni la quantité de travail que ça lui a demandé, mais le comportement enfantin qu’elle donne à Bella dés le début, permet de poser un socle comparatif crédible pour faire reposer tout le reste du film dessus et en percevoir toutes les avancées. Socle sur lequel repose donc toute la cohérence de cette évolution. Une prouesse de jeu qui fait que je comprends qu’elle méritait son Oscar pour ce rôle.

Bien que les autres acteurs ne soient pas en reste, face à la place occupée par Bella et Emma Stone, ceux-ci ne peuvent que paraître secondaires malheureusement pour eux. Willem Dafoe dans le rôle du Dr Godwin Baxterdont est très bon (a-t-il déjà été mauvais ?) et d’autant plus surprenant avec un tel rôle ainsi qu’avec le nombre de prothèses qu’il a sur le visage, c’est une fameuse performance aussi. Mais j’ai été étonné de voir Mark Ruffalo, ça fait du bien de le voir ici, dans autre chose que du Hulk, où il campe un être pitoyable, ce qui rend son rôle et son jeu encore plus intéressant. L’ensemble des autres rôles est très bon lui aussi.

La chose principale qui me chiffonne à vrai dire, ce sont certains visuels (costumes, bateau, bâtiments…) qui auraient (comme une part de l’affiche) un aspect quelque peu « tiré d’une IA » qui m’a gêné, n’étant fan ni de l’outil, ni de l’idée, et encore moins de ces types de rendus. Alors j’ai voulu voir si cette impression était vraie ou fausse et je ne trouve aucune information là-dessus. Pourtant certains éléments laissent assez peu de place au doute je trouve. Ce qui ne change rien au reste me direz-vous. Certes mais lorsque tout le voyage se compose de versions « fantasmées » de lieux réels et que ces destinations quelles qu’elles soient ont toutes un air commun, comme une « patte » similaire… C’est dommage.

J’ajouterai à ce défaut, par moments, quelques longueurs.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire à propos de ce film, mais sans spoiler outrageusement, ça devient plus compliqué.

Alors faut-il le voir ? Déjà si vous avez du mal avec les scènes sexes et les réalisations un peu perchées, ça risque d’être compliqué. Par contre, je pense que si vous êtes curieux/se, il faut au moins tenter un Lanthimos. Quant à dire que c’est le film idéal pour le découvrir, je n’en sais rien à vrai dire. Certes, une part de ce film est plus accessible que d’autres que je lui connais, mais il reste sur un visuel plus particulier que d’autres de ses films. Alors je dirais pourquoi pas, selon la façon dont vous le sentez.

Pour ma part, je suis sorti de ce film sans trop savoir qu’en penser mais il m’a hanté dans les jours qui ont suivi son visionnage, ce qui est bon signe avouons-le. Du coup, je me replongerai certainement dedans à l’occasion… Mais surtout je continuerai à explorer sa filmographie.

Psychonaut
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le 19 sept. 2024

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