C'est compliqué le cinéma de genre en France. Si cette introduction vous semble familière, c'est à dessein, en effet j'avais ainsi débuter ma critique du film brillant Le Règne animal (2023) que je vous enjoins à consulter pour le développement de cette idée maîtresse : c'est compliqué le cinéma de genre en France. Que l'on peut sans mal appliquer à cette jolie proposition.


Deuxième long métrage de Jérémy CLAPIN après l'étonnant mais passionnant J'ai perdu mon corps (2019) et du coup premier film en images réelles, même si vous le découvrirez l'animation s'invite dans certaines séquences du métrage. Séquences dont l'esthétique devrait réveiller de doux souvenirs aux plus de quarante ans, je n'en dis pas d'avantage, mais qui paraissent sinon inutiles au scénario a minima anecdotiques.


Nous suivons une jeune femme dont le frère a disparu lors d'une mission spatiale, son quotidien la renvoie continuellement à cette perte, une statue érigée en l'honneur du défunt qu'elle doit croiser chaque jour, ses parents qui portent eux aussi leur deuil selon leurs sensibilités et leurs aptitudes à la résilience, un petit frère a qui il faut évoquer le souvenir d'un aîné qu'il a peu connu. Lorsqu'un jour l'irruption du fantastique va rebattre les cartes, car oui à la différence de ce que laisse présager le synopsis et les critiques du film, j'estime que ce film à plus à voir avec le genre du fantastique, qu'avec celui de la science fiction. Cette irruption qui ici prend la forme d'une prise de contact télépathique dont l'antenne relais de cette communication inter espèces s'incarne par une étrange graine d'entités extra terrestre qui lui proposent de lui ramener son frère mais sous certaines conditions.


Le film va alors explorer avec une certaine douceur les thématiques du deuil bien entendu, mais aussi de la résilience de chacun face à l'intimité du drame, les conflits qui peuvent en découler quand l'autre proche parait en apparence moins touché. Il pose aussi des questions d'ordre philosophique, qui ont à la fois la vertu d'un questionnement intellectuel dont on laisse au spectateur le soin d'apporter les réponses qui lui seront les plus en accord avec leurs convictions et valeurs morales, bien que le film s'abstient de tout moralisme ou de vouloir donner la moindre leçon de bien et de mal, et je lui en sais gré.


Si l'ambition du spectaculaire s'est vue limitée par un budget interdisant de fait les effets spéciaux dispendieux, Clapin choisit du coup avec beaucoup d'intelligence de laisser en hors champ et à notre totale imagination ce à quoi pourraient ressembler ces extra terrestre, leurs tangibilité doit alors se porter sur l'écriture de leurs interventions dans le film d'une part mais dans la vie de Elsa surtout. Une voix off volontiers androgyne, des questions de leur part nimbée d'une naïveté presque enfantine ou innocente, mais en même temps des exigences et une force de persuasion qui confine eux à quelque chose de l'ordre de la violence et de la domination. Un cocktail enthousiasmant.


Hélas, le film contient aussi son lot de faiblesses, qui sans le départir de son charme évident et presque vénéneux, se doivent d'être soulignés, surtout en regard de l'immense attente dans laquelle le réalisateur nous avait laissé après son premier film, en animations certes, mais dont l'écriture touchait à la perfection. Ici il m'a manqué quelques Momentum vraiment impactant notamment dans le développement et l'écriture de la principale héroïne, un exemple mais ce n'est pas le seul. Elle travaille dans une maison pour personnes âgées et se voit donc confrontée à la mort de façon quotidienne, mais à aucun moment cela ne sera mis en parallèle ou en contraste ou juste interrogé sur son rapport personnelle à cette fatalité universelle et son deuil, manifestement compliqué. Du coup si elle avait été joueuse de pétanque professionnelle, l'arc aurait été le même.


Direction artistique soignée, images et mise en scène empruntes de poésie et de beauté, scénario se frottant avec un évident désir au fantastique et à l'onirisme, malgré un manque de peaufinage, des acteurs investis et crédibles et un final qui m'a tiré une petite larme, de celles qu'on aime laisser humidifier nos joues.


Hâte, très hâte de découvrir les prochaines propositions de Jérémy Clapin.

Spectateur-Lambda
7

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Créée

le 11 juil. 2024

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