Ça vous est déjà arrivé de vous retrouver face à un film qui vous surprenne par son ouverture ; suffisamment du moins pour que ça émoustille votre curiosité ; au point même que vous commenciez à alimenter votre machine à fantasmes, et puis soudain – paf ! – dès la scène suivante, c'est la débandade ? Le soufflé qui retombe ? Et on passe sa séance à faire le deuil du film qu'on avait cru deviner mais à tort ?

Eh bah sachez que ce Pendant ce temps sur Terre ne s'est pas contenté de me faire ça avec sa seule ouverture. Non, il me l'a fait une bonne demi-douzaine de fois, tout au long de son film, et c'était franchement frustrant.


Limite, j'en suis à me demander si je n'aurais pas préféré que ce second long métrage de Jérémy Clapin ne se réduise au bout du compte qu'à un de ces énièmes films de genre européens ; vous savez, un de ces trucs assez pauvres qui semblent en retard de trois décennies sur les questionnements posées par le genre, mais qui essayent de convaincre malgré tout par une patte auteuriste surappuyée ? En vrai, ça m'aurait presque rendu service que ce film ne se limite qu'à ça. La messe aurait été vite dite, l’œuvre vite oubliée, et je serais passé à autre chose.

Mais là...


Là ça fait juste chier parce qu'il y a quand même quelques fulgurances qui touchent quelque chose de singulier et de percutant, mais qui laissent malheureusement un goût d'inachevé, pour ne pas dire d'accident presque involontaire.

Parce que le problème que j'ai avec ce film, c'est que j'y ai trouvé quand même quelques ingrédients stimulants savoureux ; mais des ingrédients toujours mal exploités, mal intégrés, mal associés...

Il y a d'abord ces encarts de dessin animé dont l'insertion est d'autant plus inattendue qu'elle est percutante. Ces encarts s'imposent rapidement à nous comme une sorte de narration alternative, mobilisant un référentiel visuel tellement suranné qu'on pourrait être tenté de les percevoir comme la représentation de ce qui ne peut être représenté. Idéal pour stimuler le mystère, l'effet fonctionne d'autant mieux que les dialogues qu'on entend en même temps ne sont pas typiques de ce genre de SF. Ils aspirent à une forme de naturalisme qui renforce l'impression de décalage ; de narration en angle mort...

Et puis finalement non. Plan suivant : retour à un cinéma triste. Photo terne, mise en scène sans génie et surtout narration linéaire et littérale.


Pourquoi ne pas avoir gardé pour la scène suivante le noir et blanc initié par le dessin animé, histoire d'entretenir une continuité dans le mystère ? Idem, pourquoi ne pas avoir conservé cette réalisation aux plans très rigides qui apportait une réelle atmosphère de suspension ? Qu'est-ce que le film y gagne à repasser en couleurs au moment de prises de vue réelle quand on constate à quel point la photographie choisie se refuse à un quelconque choix ? Pourquoi multiplier les traveling pour donner une impression artificielle de dynamisme et de relief là où il n'y a rien à mettre en dynamique et en relief ?

J'irais même plus loin : à quoi sert tout ce quart d'heure pour montrer comment Elsa s'occupe de ses patients ; comment elle est jugée ; comment elle s'entend avec ses collègues ; comment elle s'entend avec ses parents ?

Moi je trouve que c'est clairement de l'exposition qui ne sert à rien. C'est apporter tout de suite une information superflue qui aurait pu avoir plus tard et d'une autre façon. Ça parasite la recherche évidente de mise en suspension du réel. C'est un retour au basique qui gâche tout.


Parce qu'en effet – et comme je le disais déjà un peu plus haut – des tentatives, il y a dans ce film – avec parfois même un début de réussite – mais à chaque fois ce début de quelque chose est dilué par ce qui suit ; une suite à chaque fois beaucoup plus classique et parfois balourde.

On navigue ainsi entre la platitude purement informative dont on aurait pu franchement se passer...

(toutes la phase de choix des hôtes, notamment le suicide de Guy beaucoup trop téléphoné.)

...au scènes durant lesquelles on frôle une forme d'amateurisme, voire une certaine forme de grotesque.

(La scène de tronçonneuse, mais rololoh ! Facile, sanglante, presque caricaturale et... Et putain personne ne vous a appris à mettre des lunettes de protection dans votre scierie ?!)

Dommage parce que, moi, j'ai aimé – ou plutôt j'aurais pu aimer – cette scène où on cherche les étoiles malgré les lumières nocturnes de la ville ; ces dialogues froids et mystérieux avec les entités extraterrestres ; ou bien encore ces questionnements posés par la situation à l'héroïne...

Mais à chaque fois, tout reste à l'état d'ébauche, se fait noyer par la banalité et sombre d'ailleurs finalement dans un récit sur le deuil plus que convenu.

C'est ballot, parce qu'à l'image d'un Romain Quirot ou d'un Thomas Cailley, je sens chez Jérémy Clapin une patte, un univers, une possibilité d'explorer quelque chose susceptible de revigorer le cinéma français. Mais ça ne va pas suffisamment loin. Ce n'est pas suffisamment maîtrisé. Ça fait pchitt.


Qu'il aurait été bon ce Pendant ce temps là sur Terre que j'avais commencé à fantasmer !

Mais malheureusement ce film n'existe pas, à part dans ma tête.

Retour donc sur le plancher des vaches, bien de la loin de la grande fête,

Que la nouvelle génération de cinéastes français peine à nous proposer.

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le 7 juil. 2024

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