Voilé par un temps printanier, un train surgit. Il siffle d'abord, puis il écrase la vie d'un homme. Il détruit tout ce que cet homme a été et tout ce que cet homme aurait pu être. Un homme abject, méprisable, dur et parfois lâche. Une vie est prise, et le train nous emporte avec lui, vers une enquête virtuose qui essaye de recoller les morceaux de cette vie brisée.
Le train poursuit donc, un voyage à rebours comme une VHS qu'on rembobine jusqu'au début. Un train qui remonte le temps en métaphore filée. Des bonbons à la menthe poivrée et un amour perdu en guise de filigrane émotionnel. On se croit chez David Lynch.
Il n'existe qu'une seule question qui mérite qu'on y réponde : pourquoi un homme se suicide t-il ? Qu'est-ce qui pousse cette âme brisée à ne plus être ? Pourquoi un personnage odieux et misanthrope décide de s'ôter la vie ? Au final, c'est tout ce qui importe. Et ce style narratif est parfaitement adapté pour y répondre : nous plongeons petit à petit dans la vie de Kim Yong-Ho - brillamment interprété par Sol Kyung-gu - on vit ses traumatismes et ses doutes, on regrette ses décisions et on répugne ses crimes.
Peppermint Candy parvient à nous présenter une tranche de vie qui parvient brillamment à associer la psychologie du personnage avec l'histoire qui l'entoure. Psychologie et histoire, ces deux concepts s'entrechoquent. Ils restituent une jeunesse sud-coréenne sacrifiée. Dérégulation capitaliste et crise asiatique de 1999 ; dictature des années 1980 et répression des mouvements étudiants. Rien n'épargne Kim Yong-Ho. L'homme est écrasé par son passé, tourmenté par ses échecs et hanté par son innocence perdue. Dans ce mélodrame stratifié, on accède patiemment à une vérité glaciale : la Corée du Sud des années 80-90 est en prise avec la réalité violente de la misère, des inégalités, de la corruption et du masculinisme.
En bref, cette narration virtuose dévoile les aphtes d'un pays en plein bouleversement et il nous interroge sur la valeur de nos choix et de nos regrets. Finalement, n'est-il pas meilleur de raconter une histoire par sa fin ? C'est le cas pour ce film : le reflet inversé d'une dépression.
Peppermint Candy est un film expérimental, abrupt et fantasmé. Plus qu'un pari, la forme narrative épouse le propos du film : on comprend pourquoi Yong-Ho est brisé et pourquoi il s’abîme sur les rivages verdoyants d'une ligne ferroviaire ; pourtant, nous apprenons à le détester, car il est odieux dès le début du film (et à la fin de sa vie). Voilà pourquoi ce film est une pépite du cinéma coréen et pourquoi Lee Chang-Dong livre un témoignage fracassant pour son pays.
Vous ne serez pas pareil après avoir vu ce film, je vous le garantis.