Avec Tuer n'est pas jouer, tous les romans de Bond (excepté Casino Royale) auront été adaptés. Le défi est donc de créer une aventure originale pour le nouveau film. En fait, lors des adaptations précédentes, des pans d'histoires n'étaient pas conservés lors de leur passage à l'écran. C'est pourquoi les scénaristes ont pu tout de même puiser des éléments chez Ian Fleming pour Permis de tuer. Et notamment dans Vivre et laisser mourir, le deuxième roman. La partie dans laquelle Felix (joué par David Hedison qui interprétait déjà le rôle dans le film de 1973) est dévoré par un requin et les recherches de Bond dans les locaux de Krest en viennent tout droit. Le trafic d'héroïne est également commun au roman et aux deux films.
Pour le reste, Permis de tuer tient parfaitement bien la route. Il est bien structuré, l'intrigue est riche, sans temps morts et on ne s'ennuie jamais. Le sujet est traité sur un mode plus sérieux encore que Tuer n'est pas jouer, et pour la première fois depuis Au service secret de Sa Majesté, on suit Bond dans sa vie privée (le mariage de son ami Felix). Il y a d'ailleurs un clin d’œil à ce film à la fin du mariage. Et c'est cette vie privée qui va le pousser à agir à son propre compte, quitte à désobéir à sa hiérarchie. C'est en cela que le film est à part dans la série. Bond remplit une mission qu'il s'est donnée lui-même et non qui lui vient de la voie officielle. Il se pose en justicier. C'est en partie ce qui a dérangé le public à l'époque. Ce à quoi il faut ajouter une violence plus crue que ce à quoi nous avait habitué la série. Le monde a évolué, le cinéma aussi et "James Bond" s'adapte en ce sens. On a donc droit à des passages sanguinolents qui heurtèrent pas mal en 1989 : Felix bouffé par le requin, Dario concassé dans une broyeuse, Krest explosé dans un caisson sous pression (là aussi, on repense au Vivre et laisser mourir de 1973 et à la fin de Kananga).
Les personnages sont néanmoins très bien campés par leurs interprètes. Sanchez (Robert Davi) est le plus terrifiant adversaire de Bond de toute la série, le tout jeune Benicio Del Toro est parfait en homme de main sadique, et Pam (Carey Lowell) est une des Bond-girls les plus remarquables de toute la série. De par la nature du scénario, M (Robert Brown pour la dernière fois) et Moneypenny (Caroline Bliss, qui n'aura pas eu le temps de s'affirmer) sont peu présents, mais tout de même là pour affiner l'univers bondien. En revanche, Q n'a jamais été aussi actif. Et c'est lui qui sert de contrepoint humoristique pour dédramatiser un peu avec ses gadgets. On regrettera juste l'hilarité de Felix à la fin, comme si rien de grave ne lui était arrivé.
Le film n'a pas marché à l'époque et demeure le plus gros échec de la série, dont il marque le coup d'arrêt pour un temps, et aussi la fin d'une époque. De nombreux incontournables vont la quitter (John Glen, Maurice Binder, Richard Maibaum) et c'est malheureusement Timothy Dalton qui va symboliser cet échec, alors que le film est bon, meilleur que la plupart des films interptétés par Daniel Craig. On lui a reproché son manque d'humour et son manque de légèreté, ainsi que son style trop proche du film d'action étasunien lambda, en oubliant au passage que c'est "James Bond" qui a inventé le genre dans les années 1960. Il est d'ailleurs intéressant de constater que tout ce qu'on a reproché en son temps à l'interprétation de Timothy Dalton est exactement ce qu'on appréciera plus tard chez Daniel Craig. Et c'est aussi dans Permis de tuer qu'on a la meilleure réplique de la série ("Qu'est-ce qu'on fait de l'argent, patron ?" "Tu le blanchis !")
A l'heure où les films de Craig tiennent le haut du pavé, il serait assez judicieux de revoir les deux de Dalton. Nombreux sont ceux qui seraient agréablement surpris.