Après son premier long-métrage, Blanche-Neige et les Sept Nains, Walt Disney espère obtenir le même succès pour ses nouveaux projets. La même année, il se lance donc deux défis ambitieux et coûteux, Pinocchio et Fantasia, qui suivra quelques mois plus tard. Mais malgré le travail réalisé et la prouesse technique dont font preuve ces œuvres, la Seconde Guerre et le mauvais accueil en Europe ne permettent pas à Disney d'obtenir le résultat escompté.
L'histoire de Pinocchio est inspirée du roman pour enfants rédigé en 1881 par l'écrivain et journaliste polémiste italien Carlo Collodi, Les aventures de Pinocchio, dont une première adaptation éponyme avait déjà été réalisée en 1936. Si la première version en long-métrage est restée inachevée et n'a finalement jamais pu voir le jour, le film étant désormais considéré comme perdu, Walt Disney parvient à mener son projet à terme.
Mais ce n'est pas sans difficulté qu'il se lance dans cette aventure. En effet, dans l'histoire originale, Pinocchio est un antihéros irascible et détestable, les méchants sont présents en très grand nombre et il n'y a finalement que très peu de moments joyeux ou amusants. Il faut à Disney de longs mois de travail et plusieurs tentatives avant de parvenir à concevoir un scénario plus léger et accessible aux enfants, avec un personnage principal innocent et attendrissant, à l'apparence beaucoup plus humaine que dans les illustrations originales.
Malgré ces efforts scénaristiques, lorsque j'étais enfant, je n'aimais pas Pinocchio, que je trouvais déjà sombre et inquiétant. Après l'avoir revu aujourd'hui et avoir lu quelques commentaires, je constate que je partage encore ce ressenti, et que je suis loin d'être la seule.
Contrairement à la plupart des films d'animation des Studios Disney, Pinocchio nous livre une vision très sombre du monde extérieur, qui serait rempli de dangers et de personnes malveillantes, prêtes à commettre tous les sacrifices pour devenir riches.
Par le message qu'il veut nous faire passer, ce film se rapproche finalement de Blanche-Neige et les Sept Nains, cherchant à apprendre aux enfants la distinction entre le Bien et le Mal, et à les avertir des dangers qu'ils encourraient en se fiant à n'importe qui. Mais à la différence du son prédécesseur, Pinocchio traite le sujet avec un ton beaucoup plus grave. Le petit pantin animé est jeté dans la mer sans qu'on ait pris le temps de lui apprendre à nager. Il n'a finalement que très peu d'adjuvants, et le reste des personnages semble lui vouloir beaucoup de mal. Il doit donc apprendre par lui-même quels sont les chemins à suivre et ceux à ne pas suivre, mais sa naïveté finit forcément par l'emmener dans des endroits dangereux.
Je ressens comme une boule dans l'estomac à la seule évocation de certains passages. Je pense notamment à la scène où Pinocchio se retrouve seul, suspendu dans une cage illuminée par de violents éclairs. Il y a également ce long passage sur l'Île enchantée, où les enfants grandissent trop vite, avec la scène du billard où Pinocchio se met à fumer alors qu'il vient juste de naître, celle où l'on découvre ces enfants transformés en ânes, hennissant dans leurs cages, avant que le Cocher n'en prenne un par les oreilles et le balance brutalement contre un mur de pierre, puis la scène de transformation de Crapule et Pinocchio, où l'on commence à prier intensément pour que tout cela se finisse... Sans parler des péripéties finales dans le ventre de la baleine Monstro, terriblement impressionnante...
Pinocchio ne dure que quelques minutes de plus que Blanche-Neige et les Sept Nains, et pourtant il semble beaucoup plus long. J'expliquerais cela par un traitement du rythme complètement différent.
Dans un premier temps et durant les 30 premières minutes du film, tout se déroule dans la maison qui sert d'atelier à Geppetto. Il ne se passe pas grand-chose, mais ces 30 minutes demeurent mes préférées, par la douceur, la poésie et le calme chaleureux qui règnent dans cette demeure.
Dans un second temps, le film gagne rapidement en rythme et les péripéties s'enchaînent les unes aux autres sans nous laisser beaucoup de temps pour reprendre notre souffle et se réchauffer le cœur.
Je reprocherais au film ce traitement de la subdivision des scènes un peu bancal. Beaucoup semblent trop longues et on est parfois proche de ce que j'appelle « l'effet yo-yo », c'est-à-dire que Pinocchio refait trois aller-retour entre la maison de Geppetto et le monde extérieur, on pense chaque fois que les choses vont revenir à la normale, mais en fait non, l'action reprend instantanément son cours.
Le seul moment de douceur dans la seconde partie du film est finalement cette scène sous-marine où l'on retrouve notre Jiminy humoristique (je suis la seule à me demander comment celui-ci parvient à respirer sous l'eau?).
Si Pinocchio nous présente un scénario bien fourni, il est important aussi de noter le nombre de personnages, qui peut sembler un peu déconcertant aux yeux d'un enfant.
Nous avons l'attendrissant Geppetto, qui prend soin de son entourage comme il peut, le rigolo Figaro, jaloux et râleur, la délicate Cléo, qui apporte beaucoup de douceur, Jiminy Cricket, personnage phare et très nuancé du dessin animé, la Fée bleue, une version de Blanche-Neige blonde aux yeux bleus et sans aucune personnalité, Grand Coquin, qui semble avoir une vision bien biaisée de la vie d'artiste et qui ne cherche qu'à faire du profit, Gédéon, personnage muet qui suit son acolyte sans jamais se remettre en question, Stromboli, sorte de Big Boss qui ne pense qu'à l'argent, le Cocher, qui récolte les enfants « méchants » pour qu'ils ne soient plus jamais des enfants, Crapule, prototype du mauvais garçon (vous savez, celui qui hante les rêves des parents, craignant la mauvaise influence de leurs enfants?) et la baleine Monstro, qui contribue à réaliser ce final inoubliable, tout en mouvement et en puissance.
Graphiquement, Pinocchio a très bien traversé le temps. Je remettrais juste en cause le graphisme un peu flou et peu imaginatif de la Fée bleue, bien que sa robe réussisse à nous renvoyer son aspect magique.
Notons ce magnifique travail d'animation au début du film, les décors du village chaleureux inspiré de la Bavière, le superbe traitement des mouvements du pantin et des autres personnages, les nuances du bois, les entrées et sorties de la Fée, l'effet produit par l'orage, la diversité de couleurs dans la fête foraine, et les mouvements de Monstro qui suit le banc de thons, avec ce travail réalisé sur les vagues, qui est à couper le souffle.
Pinocchio regorge d'idées ingénieuses, notamment dans les différentes horloges et jouets et dans certains éléments que je retiendrai : le reflet de Pinocchio qui s'avance dans le bocal de Cléo, le son que fait Geppetto quand il ronfle, Jiminy qui dort dans une boîte d'allumettes, Geppetto qui dit au revoir à Pinocchio en agitant Figaro, le spectacle de Goldoni, Gédéon qui trempe son cercle de fumée dans sa bière, le tag en petit bonhomme sur la reproduction de la Joconde, l'effet sonore des voix au fond de la mer...
Par opposition à certains films d'animation comme Dumbo, qui sortira un an plus tard, je trouve que Pinocchio a cette force de posséder plusieurs niveaux de lecture, notamment au niveau humoristique, avec les différentes séquences de Jiminy qui s'émerveille devant les femmes de bois.
Seul le morceau de musique « Quand on prie la bonne étoile » marquera vraiment les esprits, en partie car c'est celui que Disney choisira pour accompagner chaque ouverture de ses prochains films. Mais la bande son, qui se vit décerner l'Oscar de la meilleure chanson originale et l'Oscar de la meilleure musique de film, demeurera à mes yeux aussi enchanteresse que celle des autres Disney de l'époque.
En conclusion, malgré son aspect sombre et effrayant et le succès mitigé à sa sortie, Pinocchio restera à mes yeux un des meilleurs films Disney, par sa qualité graphique et technique et sa faculté de marquer les esprits.