Pinocchio
7.1
Pinocchio

Long-métrage d'animation de Guillermo del Toro et Mark Gustafson (2022)

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Last but not least, cette énième adaptation de Pinocchio en long-métrage pourrait bien être la plus importante depuis longtemps, ainsi qu’un cadeau de Noël rêvé par un cinéaste dont la hotte renferme toujours de réjouissantes surprises.

Le pantin mythomane a la cote. Après la belle proposition (malheureusement boudée) de Matteo Garrone, le sous-Dreamworks russe sorti en février et l’humiliation mercantile de Robert Zemeckis pour Disney+, voici la version Netflix, résultant d’un alignement d’étoiles parmi lesquelles celle de la plateforme cramoisie pourrait bien être la plus terne. Voyez plutôt le calibre de cette constellation. Le fameux talent de conteur de Guillermo Del Toro, qui nourrit le projet depuis 2008 avec l’énergie et la poisse qui collent à la plupart de ses pitchs les plus passionnés (Les Montagnes Hallucinées, arlésienne maudite dont il ne subsiste à ce jour que 25 fascinantes secondes de test CGI). La main-forte de Mark Gustafson, qui avait notamment secondé Wes Anderson sur Fantastic Mr Fox. L’inspiration de Gris Grimly, génial illustrateur ayant audacieusement réimaginé le héros de Carlo Collodi pour une édition parue en 2002. La coproduction de la Henson Company sous l’égide de Lisa, fille de Jim et Jane, déjà architecte de la série Dark Crystal : Le Temps de la Résistance, saisissante réussite également concoctée pour Netflix avec une exigence et une passion totales.

On aurait légitimement pu craindre de voir le navire sombrer à mi-parcours sous le poids du talent à son bord. Autant tordre le cou au suspense : l’arrivée à bon port se fait sans la moindre voie d'eau. Malgré les qualités du Wendell & Wild d’Henry Selick paru sur Netflix pour Halloween, il se pourrait que le film de stop-motion le plus marquant de 2022 vienne bel et bien de Guillermo Del Toro, dont c’est la toute première aventure sur ce terrain. Il avait déjà visé un nouvel horizon en janvier avec le sombre et puissant Nightmare Alley, s'essayant au film noir en s'émancipant des étiquettes hâtives de « Burton pour adultes » qu’on se plaisait parfois à coller à son cinéma. Cette fin d’année sera donc l’occasion de boucler la boucle par l’autre extrémité du spectre stylistique de sa filmographie. Après Bradley Cooper en anti-héros torturé, Noël nous apporte David Bradley en père endeuillé dans un conte de vrais petits pantins. Essuyant des années de claquages de portes en pleine face, le maître mexicain a finalement sculpté son Pinocchio pour la firme qui lui avait permis de conclure l’excellent triptyque animé des Contes d’Arcadia, avant de parrainer quelques fantasmes Lovecraftiens dans son Cabinet de Curiosités, sur lequel les avis sont aussi variés que les épisodes qui le composent.

Précisons-le d’entrée, ce Pinocchio illustre le principe d’une adaptation dont on mesurerait le succès par sa capacité de trahison. Aussi, le scénario n’hésite pas à s’écarter du texte de Collodi. Point de parc d’attraction démoniaque ou de transformation en baudet au menu, mais d’autres péripéties tout aussi riches en rebondissements, qui prolongent avec intelligence les réflexions du matériau sur lesquelles elles se basent. Fort heureusement, cette liberté n’est pas dénuée de structure et de rigueur. Le premier quart d’heure du film est une leçon de dramaturgie condensée, et l'une des plus magistrales du cinéma d’animation depuis l’incipit de Là-haut chez Pixar. Dès l'introduction, la richesse de la narration met en exergue tout ce qui faisait cruellement défaut au vide sidéral proposé par Disney+. La création du pantin de Del Toro, entreprise avec désespoir et violence par un père brisé, ivre de deuil et d’hubris prométhéenne, est bien plus proche du monstre de Frankenstein que des lubies de bambin coloré du Geppetto emperruqué joué par Tom Hanks. Idem pour le fameux criquet parlant qui, ici, n’est pas la conscience de Pinocchio, mais son cœur. La distinction est lourde de sens, à plus forte raison quand elle est introduite avec poésie et intelligence, tout comme le choix du bois de pin pour l’ossature du héros. L’un après l’autre, tous les éléments nécessaires à l’histoire sont mis en place avec une fluidité et une richesse narrative édifiante, quand bien même leur positionnement exact n’est pas systématiquement celui que l’on attendrait de prime abord. Et c’est tant mieux. Là où le récit de Collodi était un éloge de la discipline, cette adaptation transposée sous le fascisme de Mussolini choisit d’explorer les vertus de la désobéissance, décuplant la portée émotionnelle de chaque infidélité faite à l’œuvre originale.

Il en va de même pour l’utilisation de l’animation en stop-motion. Del Toro confiait récemment à Télérama son envie de contrecarrer la cadence cartoonesque souvent associée au médium pour y réinsuffler son amour pour l’Actors Studio. Les figurines animées jouent, émettent, se comportent avec une humanité qui permet instantanément au spectateur de suspendre son incrédulité pour accepter ce monde de marionnettes à la fois douces et effrayantes, délirantes et tragiquement humaines. Est-il besoin de préciser à quel point le choix d’un médium employant des pantins font de cette énième version du conte l’une des plus cruciales de sa lignée ? Pour autant, Del Toro ne se restreint jamais à un seul niveau de mise en abîme, et confronte régulièrement son héros à des reflets troubles. Pinocchio croise un singe savant, un jeune fasciste brimé et un Christ en croix lui aussi taillé dans un tronc. Autant de visages qui renvoient le protagoniste à sa propre nature et au don de vie que l’empathie d’une fée lui a octroyé. Parlons d’ailleurs des fées, qui sont réimaginées avec une ingéniosité symbolique comme seul Del Toro peut la concevoir, s’inspirant des Séraphins judaïques et d'un bestiaire antique de sphinx, manticores et chimères de tout poil. Ce traitement de la magie comme l'irruption du surnaturel mythologique dans la trivialité trompeuse d’un monde de marionnettes mettra du baume au cœur de ceux que le naturalisme de Nightmare Alley a pu frustrer, et contentera les fans des créatures cornues et biscornues des Contes d’Arcadia. Saluons en outre un casting impeccable qui sonne toujours juste, que ce soit le jeune Gregory Mann dans le rôle-titre, Ewan McGregor en criquet lettré, Christoph Waltz en bateleur polyglotte ou David Bradley, l'horrible Rusard de la saga Harry Potter, prêtant sa voix au Geppetto le plus déchirant incarné à l'écran.

Naturellement, une des valeurs intrinsèques du conte de Collodi tient à sa capacité à cristalliser une philosophie artistique par le fondement même de son histoire. Là où la version de Matteo Garrone semblait désireuse d’ancrer à nouveau le récit dans la campagne italienne et le cinéma italien (le choix de Roberto Benigni en Geppetto était particulièrement judicieux) et où le remake de Disney+ distillait le cynisme crasse de la firme à grandes oreilles, cette nouvelle itération recèle un tout autre message. Le Pinocchio de Del Toro et Gustafson est un cadeau de Noël savoureux, une merveilleuse fable sur la désobéissance et un triomphe de stop-motion expressionniste, digne de figurer sur la même photo de classe que Mr Jack, Mr Fox, Coraline et autres Kubo. Pourtant, la qualité la plus marquante de ce pantin rebelle est finalement sa valeur existentielle, qui dresse avec noblesse un éloge de l’éphémérité humaine et de l’immortalité de l’art conçu avec magie. La chair s’envole et disparaît, mais les sculptures demeurent, à condition d'être façonnées dans un matériau touché au cœur par la féerie. Il n'est pas déraisonnable de supposer que ce nouveau film a effectivement été taillé dans ce bois-là.

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le 9 déc. 2022

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Orpheus Jay

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