Autrefois, le monde était beaucoup plus grand… - Le monde est toujours le même. Il est juste... Moins attrayant...
Introduction:
Dans le monde sclérosé du cinéma hollywoodien était apparu en 2003, tel un ovni, un film neuf, créatif et surprenant. Pirates des caraïbes premier du nom apparaissait comme le retour flamboyant d'un genre délaissé depuis belle lurette, le récit de cape et d'épée. Tous les ingrédients étaient réunis et magnifiés dans cette superproduction Disney/Bruckheimer, que ce soit du point de vue "blockbusteresque ": cascades, gigantesques décors, combats chorégraphiés et reconstitutions historiques minutieuses, que du point de vue "thématiques et composantes du genre": vengeance, retournements de situations, quête initiatique, héroïsme, romance, humour, farce... Et même épouvante.
Ayant suscité un intérêt fulgurant de la part du grand public et imposé Gore Verbinsky comme un réalisateur capable de mener la barre d'une production d'envergure, le film ouvrait la voie à une franchise lucrative. En effet, le second opus allait être une réussite encore plus fracassante . De fait, "Le secret du coffre maudit" a plutôt bien marché, en devenant modestement l'un des plus gros succès du box-office mondial, et raflant au passage l'oscar des meilleurs effets visuels de l'année 2007. Succès plus que mérité, tant ce second opus parvint à dépasser son aîné en terme de pure divertissement. Le film constituait ainsi un savant mélange de burlesque (lorgnant parfois avec les cartoon de Chuck Jones, ou Tex Avery) et de sérieux en conservant un aspect résolument sombre, dans la veine du premier opus. Ce décalage creusait sa singularité, en même temps qu'il semblait annoncer un univers plus grand encore. Univers puisant dans différents mythes et légendes: folklore nordique ( le Kraken), récits maritimes ( Davy Jones, le Hollandais Volant) ou dans l'ésotérisme et les rites tribaux ( la sorcière des bayous Tia Dalma). Bref, en plus d'évoluer techniquement et scénaristiquement, l'univers des caraïbes s'étoffait considérablement. La question entourant la suite était donc: Avec tous les voyants au vert, la saga allait-elle faire mieux ou s'effondrer sous son propre poids?
More is better?
En ce qui me concerne, la première fois que j'ai vu "Jusqu'au bout du monde", je suis resté perplexe face au résultat. J'ai eu l'impression que le film voulait trop en faire, que ce soit du point de vue scénaristique que de celui de l'action. Tout semblait forcé, limite caricaturale. Quelque chose clochait pour moi. Je pense ne pas être le seul en lisant les divers retours que le film a eu. Pourtant en l'ayant revu à de nombreuses reprises, je me suis aperçu que cet opus possède des qualités indéniables, et que, par bien des aspects, il est parvenu encore plus que ses prédécesseurs à enrayer la machine du blockbuster, en jouant la carte du "too much". C'est ce que je vais essayer de démontrer plus bas.
Dénonciation du progrès
Ce qui apparaît dès les premières minutes du long-métrage est que l'atmosphère s'est encore assombrie par rapport au "Coffre maudit". Le ton est donné par une scène d'ouverture montrant des pirates condamnés, sans exception ni jugement, à la peine capitale (histoire que le message passe, on montre bien évidemment la pendaison d'un gamin). Outre ce moment inconfortable, la suite ne s'avère pas plus réjouissante, avec ces décors lugubres, ces lieux de perdition à peine masqués et ce climat anxiogène, dans lequel tout le monde est susceptible de trahir tout le monde. (Y compris nos supposés "héros").
Un autre élément surprenant est que la menace principale du second volet est volontairement laissée au second plan. Le Hollandais Volant n'est plus une menace indicible planant sur nos protagonistes, mais un outil au service d'un Ordre Nouveau. Le véritable antagoniste du film n'est autre que Lord Cutler Beckett, et le danger son emprise sur le monde, par le biais de la Compagnie des Indes. Pour le prouver à la fois aux spectateurs et à Davy Jones, il fait abattre le Kraken par ce dernier. Tout cela fait sens lorsqu'on prend la peine d'analyser ces scènes: le vrai monstre qui menace les caraïbes n'est pas une énième malédiction mais bien l'Ordre Nouveau, la Rationalisation et l'Immoralité qui en découle. Car si le monde de la piraterie est impitoyable, il n'est rien face à une puissance abstraite cordonnant ses méfaits, et qui amène à la déshumanisation progressive de tout individu. ( Au point que gentils comme méchants se retrouvent forcés de jouer selon "ses" règles). Ce fameux Ennemi qui compte sur la division pour augmenter sa mainmise sur "l'Ancien Monde", d'où le fait que les protagonistes peinent à se rallier face à Lui.
Jones à la recherche du temps perdu
Face à ce constat désolant, la solution pour certains est de se réfugier dans le souvenir. Le souvenir d'une mer toute puissante, si farouche qu'elle semblait humaine... Cette force de la Nature que des êtres humains ont dompté, bridé, la privant de sa volonté propre. Davy Jones en est le principal responsable, lui qui s'est coupé du monde humain par idéal, avant de pervertir sa nature. Il voulait obtenir les faveurs de la déesse de la Mer, Calypso, avant de subir de plein fouet la désillusion d'amour. Vouloir dompter l'indomptable, telle a été son erreur. Telle sera sa perte. Notez que le nom "Calypso" n'a pas été choisi au hasard: le personnage, tiré de l'Odyssée, représente l'inaccessible, le rêve impossible, qui détourne l'Homme de sa condition, de sa vie... On ne saurait mieux définir ce personnage, qui se trouve être au centre de l'intrigue, et le véritable liant des arcs narratifs des différents personnages. La déesse de la Mer s'avère avoir été le Grand Amour de Davy Jones, lequel n'a pas supporté de la voir insoumise et omnipotente. Ainsi, par un rituel profane et avec la complicité des pirates, il enferme Calypso dans une enveloppe charnelle, la privant d'une partie de ses pouvoirs. Il scelle également sa propre malédiction en arrachant son cœur palpitant de son corps. Il ne sera pas la seule victime de la déesse; William Turner succombera également, en poursuivant le souvenir d'un père déjà condamné et, tel un Ulysse moderne, sera privé de la seule chose qui comptait réellement pour lui: une famille. Par chance, certains échapperont au sort tels que Jack et Barbossa qui, après avoir fait l'expérience douloureuse de l'immortalité, choisiront de vivre la vie au jour le jour, avec ce qu'elle amène de bon ou de mauvais. Manière aussi de comprendre pour l'être humain qu'il doit accepter le destin, en voguant symboliquement sur les mers, au gré des vents et des tempêtes.
La légende survivra
Après une quête identitaire l'ayant conduit aux confins du monde connu, Jack Sparrow revient faire face à son passé: tous les personnages en qui il a pu accordé sa confiance reviennent le sortir de l'abyme. Celui qui l'a marqué du sceau (c'est le cas de le dire) de la piraterie recroise sa route. Enfin, il confronte les règles édictées par son père, lequel demeure peut être le seul à le comprendre vraiment. De cet ultime voyage, culminant par une bataille homérique, Sparrow en ressortira changé, ayant compris que ce n'est pas l'objet de la quête qui compte réellement mais ce qui en fera une histoire digne d'être contée.
Vous êtes malade?! - Et j'en remercie le ciel, sinon je ne pourrais pas faire ça!