La première partie de « Playtime » pourrait se résumer à une scène : celle du gag du fauteuil. En effet, à l’image de ce siège se regonflant sitôt qu’on s’en retire, le Paris dépeint par Tati – réduit à diverses infrastructures – est impersonnel et immuable, indifférent aux êtres qui y vivent, qui ne peuvent en aucun cas apporter quelque chose à ce microcosme semblant n’exister que pour lui-même. Pour mettre en images cette conception des plus visionnaires, le cinéaste porte l’art de composer ses plans à un degré de minutie pratiquement jamais égalé dans toute l’histoire du cinéma, joue avec les superpositions des niveaux et les lignes, y accumule les éléments sans jamais alourdir sa mise en scène et utilise au mieux l’espace intérieur des bâtiments. Et quand elle prend appui à l’extérieur, la caméra est centripète, le regard sans cesse dirigé vers ces derniers, laissant parfois s’y refléter, non sans mélancolie, la tour Eiffel.
Puis, après avoir continué dans cette optique (par exemple lors de la séquence des appartements, évoquant aussi bien des vitrines que des aquariums), le point de vue se resserre peu à peu autour du plus important : l’être. Dès lors, c’est comme si les personnages entraient vraiment en contact les uns avec les autres ; comme s’ils parvenaient enfin à attirer l’œil de la caméra pour eux-mêmes, et à finalement faire déteindre leur état d’esprit sur le Paris bureaucratique de la première moitié du film (la séquence finale est à cet égard-là éblouissante). C’est peut être ce qu’il y a de plus beau dans « Playtime » : la critique a beau être acerbe, elle n’est jamais réactionnaire, ne méprise jamais les sujets qu’elle filme et sait s’affranchir de son postulat de départ pour proposer une autre manière d’envisager le monde.
À la fin du film, la caméra peut enfin se détourner des bâtiments : et lorsqu’elle les filme, c’est pour y voir le ciel s’y refléter.