"En se retournant, Orphée fait un choix, le choix du poète et non celui de l'amoureux ( Marianne )
- Mais c'est peut-être Eurydice qui lui a demandé de se retourner? " ( Héloïse )
Une réécriture au féminin pluriel du mythe d'Orphée et Eurydice, qui permet à Céline Sciamma d'exprimer son "art cinématographique" comme d'autres, poètes, ont livré leur "art poétique". Le choix de l'éternité de l'Art - dût-il figer pour toujours un instant de soi, mais n'est-ce pas le meilleur de soi, la vérité et la quintessence de l'âme, qu'il fige? - contre la temporalité du vivant, du mutable. Et du mortel donc.
Ce portrait de la jeune fille en feu est un entre-femmes somptueux, puissant et bouleversant. Rien n'est de trop dans ce film, ni le moindre regard, ni le moindre mot, ni le moindre silence. Céline Sciamma fait un travail photographique remarquable, elle sait comme personne saisir le regard qui cille, la lèvre qui tremble, le grain de peau, la passion qui couve, la rage contenue... Sous sa direction, ses 2 actrices, Noémie Merlant et Adèle Haenel, tout en non-dit et en nuances, dans un jeu subtil, jamais forcé, incarnent à la perfection leurs personnages de femmes capables de sublimer leur amour dans l'Art puisque privées du droit de forcer le Destin, les conventions sociales, les déterminismes éducatifs...
Et si des esprits chagrins vous parlent de misandrie parce qu'il n'y a que des femmes dans ce film ( ou que les rares hommes y jouent les utilités ou font figure d'intrus ), balayez leurs objections d'un revers de main parce que les hommes y sont bien présents: ils sont ceux-là même qui ont instauré cette société patriarcale où la jeune fille ne peut qu'acquiescer à un sort fixé par le bon vouloir des pères, et où celles qui ont la Connaissance sont tenues d'exercer dans l'ombre, la clandestinité, faisant figure de sorcières.
Quant à la scène des adieux, sobre et poignante, elle est simplement magistrale.
Devant un tel film, qui résonne comme une promesse, je suis prise d'un vertige chargé d'admiration.
Et je sais pourquoi je vis.